Identités sexuées et statuts interactionnels de la gestion de la durée des conversations téléphoniques

Identités sexuées et statuts interactionnels de la gestion de la durée des conversations téléphoniques

 Que le sexe de la personne ou son identité de genre puisse avoir une influence sur les usages des technologies semble une conviction largement répandue dans les recherches condensent ou durcissent souvent la différenciation sexuelle des pratiques19 et peuvent servir de point d’appui à la reproduction des identités de genre. Mais dès lors que nous portons le regard plus spécifiquement sur les technologies de communication, comme le téléphone, une dimension supplémentaire apparaît. La problématique de la construction et du maintien des liens sociaux et celle des formes des interactions interpersonnelles se croisent ici avec celle des pratiques d’usage des outils de communication. Au cœur des interprétations de la différence entre les sexes dans les usages du téléphone, on observe une forte diversité des approches adoptées (et des données utilisées), comme en témoi- gnent, par exemple, les textes réunis dans le numéro 103 de la revue Réseaux (2000). Quand ils travaillent sur les données des questionnaires sur des échantillons nationaux qui agrègent les groupes sociaux à travers des fréquences des comportements, ou bien des opinions ou des attitudes exprimées, les chercheurs focalisent leur attention sur des éléments structuraux qui peuvent cadrer les pratiques de communication telles que la composition des réseaux interpersonnels, les formes de sociabilité, la répartition des tâches domestiques, l’emploi du temps ou le cycle de vie et les structures des ménages. Mais, si nous examinons des situations d’interaction téléphonique individuelles, des conversations téléphoniques enregistrées ou observées selon le protocole interaction- niste, l’analyse se dirige davantage vers la recherche des dimensions pertinentes qui organisent la production des identités en situation et vers la structure même des échanges associés aux modes d’interaction verbale, caractéristiques de la conversation sexuelle pendant les interactions.

On observe de fait un hiatus, un peu surprenant, entre les résultats agrégés sur les fréquences des interactions et les observations des interactions elles-mêmes. Cette divergence peut être en partie liée au type de données utilisées par les différentes approches. En effet, les études classiques sur les usages du téléphone ne disposent en général que des estimations ou des auto-observations fournies par les enquêtés sur leurs appels téléphoniques, tandis que l’analyse de conversation travaille, comme c’est son habitude, sur des corpus restreints des enregistrements d’interactions verbales où il n’est que très rarement question de comparaisons statistiques. Entre ces deux niveaux d’analyse contrastés, nous essayerons d’introduire ici une nouvelle interrogation sur le rôle du sexe des interlocuteurs dans le formatage des conversations téléphoniques. Notre méthode d’observation nous permet en effet de disposer des informations à la fois sous forme agrégée des moyennes de durée des appels et de leurs durées individuelles. Nous analyserons alors, en nous aidant du travail mené par Ruth Akers-Porrini (2000) sur le même sujet (là où les contenus des conversations réelles nous font défaut pour une compréhension fine des interactions téléphoniques), l’effet inattendu du sexe de l’appelé sur la gestion de la durée des appels téléphoniques qui est apparu dans nos enquêtes. Nous travaillerons en particulier l’hypothèse selon laquelle cette variable formate aussi bien les représentations du lien interpersonnel que les interactions téléphoniques elles-mêmes. Nous allons ainsi tenter de montrer comment on peut exploiter les analyses statistiques sur la durée des communications téléphoniques afin de comprendre cet effet. Nous essayerons ensuite, pour l’expliquer, de mobiliser certaines informations sur les interactions téléphoniques elles-mêmes, ou tout au moins d’aller le plus loin possible dans notre effort visant à Licoppe 1998) selon un protocole de recherche appuyé sur les informations contenues dans les factures téléphoniques détaillées

Après autorisation explicite de l’abonné, les données de sa facturation téléphonique comprenant date, heure, durée et type d’appel (comme distance entre interlocuteurs ou support : téléphone fixe, mobile, Minitel, internet…) ont été collectées et croisées avec les informations obtenues directement auprès des usagers de la ligne téléphonique pendant l’enquête par questionnaire. Cette dernière portait sur les caractéristiques du foyer et des individus, utilisateurs du téléphone, mais aussi sur leurs correspondants téléphoniques, les motivations d’appel, etc. informations associées au numéro de téléphone observé. Notre étude concernait 312 foyers (733 personnes) situés à Paris, dans l’agglomération lilloise et en région toulousaine. L’échantillon était composé de citadins et de ruraux, de foyers d’une personne, de deux personnes et de ménages de taille plus importante, dans les mêmes proportions. La moitié des foyers recrutés était forte consommatrice du téléphone fixe et la moitié faible consommatrice. Quatre mois de facturation détaillée de chaque foyer ont été collectés et examinés ensuite avec les participants, selon un protocole prédéfini. Le corpus d’observation de la téléphonie comprend environ 100,000 appels émis, dont 70% ont été qualifiés par les participants à travers la définition des numéros présentés pendant l’entretien, ce qui constitue un résultat d’autant plus remarquable que la majorité des appels et des correspondants non identifiés sont associés à des contacts ponctuels qui n’ont qu’une importance négligeable pour les résultats présentés ici.

 

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