La Méditerrannée, lieu d’échanges de mots

La Méditerrannée, lieu d’échanges de mots

Les bateaux et la navigation

 Les auteurs parlent le plus souvent du navire sur lequel ils ont pris place, mais aussi des navires qu’ils croisent ; ils évoquent les hommes du bord, le patron, les hommes d’équipage, les pirates, et font, dans certaines circonstances, des allusions aux manœuvres. 

Les navires 

Avant d’en venir aux noms de navires, il convient d’évoquer la notion de flotte, dont le terme n’est jamais utilisé par les auteurs du corpus. Or on sait que pour assurer la sécurité de ses navires, des hommes et des marchandises qu’ils transportent, Venise organise des convois de navires qui naviguent de conserve, c’est à dire en flotte. C’est bien entendu le cas de la flotte des croisés qui part de Venise, une belle flotte ne oncques plus biaus estoires ne parti de nul port que fu cil qui a pour objet d’impressionner ses ennemis Chil de la vile de Jadres quant il virrent ches nes et ches grans estoires venir, si eurent molt grant peur. Pour Robert de Clari, estoire et navie sont de parfaits synonymes qu’il utilise en redondance, Quant le gent de le 19 Villehardouin, p. 76 : « jamais plus belle flotte ne quitta nul port que celui-ci. » 20 Clari, p. 64. 62 vile virrent chel grant navie et chel grant estore. Adorno et Fabri utilisent le mot latin classis qui signifie armée, flotte : in eo multas magnas classes christianorum comperuimus ou encore imperator turcorum Machumetus magnus, insulam Rhodum obsideret classe magna per mare. Les navires qui forment un ensemble cohérent appartiennent, pour les auteurs du corpus, à une armée. En Méditerranée, il y a, à ces époques, deux grands types de bateaux, les bateaux ronds, les nefs, trois fois plus longs que larges, qui peuvent transporter beaucoup de marchandises et de voyageurs, mais qui sont lents et doivent attendre avant de quitter un port que le vent soit favorable et les galées, bateaux longs, huit fois plus long que large, souvent des birèmes, c’est à dire à deux rangs de rames de chaque côté, gréés d’une ou deux voiles triangulaires, qui sont plus rapides et plus maniables. Au fil des temps, les bateaux s’améliorent, se diversifient au sein de ces deux grands types de navires, les gréements se font plus efficaces, plus adaptés aux besoins du navire, surtout, les bateaux commencent à se spécialiser. Dès lors, ils prennent des noms différents. Quels sont les navires identifiés ? On recense, au total, 2642 occurrences de noms de navires pour 45 noms différents ; les occurrences de noms de 21 Clari, p. 110. 22 Adorno, p. 160 : « nous y trouvâmes plusieurs grandes flottes chrétiennes. » 23 Fabri, p. 32 : « l’empereur des Turcs, Mehemmed le Grand assiégeait l’île de Rhodes par mer avec une grande flotte. » navires représentent donc, environ un quart du nombre total des mots relevés. Le tableau ci-après reprend les mots les plus souvent cités. Ce tableau semble montrer que l’utilisation des mots évolue, soit que les navires ne sont pas les mêmes au cours de ces siècles en Méditerranée, soit que le sens d’un même mot évolue. Nous examinerons d’abord l’emploi du mot vaisseau qui est, le plus souvent, le mot le plus générique et celui du mot barque, le mot le plus stable, puis l’ensemble nef, nave, navire, suivi de l’ensemble galée, galère pour finir par évoquer les noms des autres navires relevés dans les textes du corpus. 

Vaisseau

 Le mot dont l’acception est la plus large est vaisseau, tant granz que petiz pour Joinville. Robert de Clari note que tot li vaissel furent venu ensanble. Ogier d’Anglure fait suivre ce mot d’une énumération de plusieurs noms de navires Assés envoient d’aultres vaisseaux par mer comme nafve, coques, paufriers, mairans, destrieres, grippories et aultres vaisseaulx. Antoine Regnaut qui visite l’arsenal, a une phrase analogue, fusmes à l’arsenal là où sont armes et galleres, naves et autres vaisseaux. Le mot générique vaisseau peut servir à désigner toutes sortes d’embarcations, petites ou grandes. Ghillebert de Lannoy raconte les bateaux qu’il a vus dans le port de Galipoli, des galées et moult grant nombre de petis vaisseaulz passaigiers et petites fustes28 et dans ce cas, vaisseau est synonyme de barque. Jean Thenaud emploie le mot vaisseau dans le même sens, par petits vaisseaulx de pescheurs pour gagner pays me feis porter en la riviere de Gennes de port en port. Les vaisseaux peuvent être grands, à un mil de la se font les plus grands vaisseaux de la mer Méditerranée, rapporte Henri de Bauveau en passant devant Raguse (Dubrovnik). Dans cet exemple, le mot vaisseau a une autre dénotation. Cela montre bien que ce mot est plutôt un mot générique. En fait, à partir de la deuxième moitié du XVIème siècle, ce mot est plus souvent employé pour désigner toutes sortes d’embarcations, envoyasmes le fregate devant, du costé de Goze, pour descouvrir si la mer estoit nette de galleres, galliotes et autres vaisseaux d’ennemis, note Nicolas de Nicolay, ou encore, dans le récit d’André Thevet, nous avions esté avertis qu’il y avoit environ une quizeine de vaisseaus de pirates et coursaires qui tenoient les passages. Des mots plus précis désignent les deux types de bateaux ronds, les nefs ou naves et de bateaux longs, les galées ou galères. 

Nef, nave, navire

Le tableau précédent montre que l’emploi de nave tend à diminuer au XVIème siècle, concurrencé par le mot navire. On se demandera si ces mots sont considérés comme deux formes différentes d’un même mot, la forme navire apparaissant, dans notre corpus, au XVIème siècle. En fait, la plupart des auteurs des XVIème et XVIIème siècles emploient l’un ou l’autre mot, ou quand ils emploient les deux, l’un des deux, quel qu’il soit, représente moins de 10% des occurrences, sauf André Thevet et Henry Castela qui utilisent les deux formes de nave et navire dans les mêmes proportions. Félix Fabri classe les naves selon leur taille, varias et diversas habet mare naves : grandes, mediocres et parvas. Anselme Adorno part de Gênes et embarque sur un grand navire plutôt que sur une trirème, navire rapide et léger de la famille des galères, à trois rangées de rames superposées, pocius cum navi magna quam cum trireme estivo tempore esse navigandum consulerunt, il fait une halte à Tunis et en repart sur un grand navire génois, différent du précédent mais plus grand : navim magnam januensem non priorem, sed aliam majorem. Quand il parle de galée, c’est pour déconseiller aux voyageurs de naviguer sur les galées de pèlerins : Dishortor tamen penitus, aliis passagiis apparentibus, peregrinorum galeis que quolibet anno in Ascensione Domini Veneciis parate sunt, naquaquam si vitam tuam diligas navigare36. Il en parle aussi pour indiquer qu’elles sont bien protégées dans le port de Sousse (p. 143). Il faut noter que la grande industrie de Gênes depuis le XIIème siècle est celle des constructions navales. Dès cette époque, les marchands génois font construire leurs propres bateaux, de grands navires, et naviguent avec leur marchandise et les grandes naves rondes leur paraissent plus adaptées au transport de marchandises, elles peuvent contenir plus de fret. 

Table des matières

Introduction
1 – Les mots de marine
1-1- Résultats globaux
1-1-1- Ensemble
1-1-2- Moyen Âge
1-1-2-1. Les auteurs de langue latine
1-1-2-2. Les auteurs de langue française
1-1-2-3. Les auteurs de langue italienne
1-1-2-4. Ensemble des textes du Moyen Âge
1-1-3- Époque moderne
1-2- Les bateaux et la navigation
1-2-1- Les navires
1-2-1-1- Vaisseau
1-2-1-2- Nef, nave, navire
1-2-1-3- Galée, galère
1-2-1-4- Barque
1-2-1-5- Autres noms
1-2-2- Les hommes
1-2-2-1- L’encadrement
1-2-2-2- Les hommes d’équipage
1-2-2-3- Les pirates
1-2-3- Les manœuvres
1-2-3-1- Les actions du navire
1-2-3-2- Les actions des commandants
1-2-3-3- Les actions des marins
1-3- Les éléments
1-3-1- La mer
1-3-1-1- Étendue d’eau
1-3-1-2- Les vagues
1-3-1-3- Le calme plat
1-3-2- Les terres
1-3-2-1- Les abris
1-3-2-2- Les écueils
1-3-2-3- Le bord de mer
1-3-3- Le vent
1-3-3-1- Régime
1-3-3-1-1- Vent favorable
1-3-3-1-2- Vent contraire
1-3-3-1-3- Vent fort
1-3-3-2- Tourmentes et tempêtes
1-3-3-3- Noms des vents
2- Le voyage des mots
2-1- Le voyage dans le temps,la transformation des mots
2-1-1- Les mots en provenance de l’Indo-européen
2-1-1-1- Les mots de la famille de mer
2-1-1-2- Les mots de la famille de nave
2-1-1-3- Les mots de la famille de vent
2-1-2- Les mots en provenance du latin
2-1-2-1- Évolution phonétique
2-1-2-2- Évolution phonétique et sémantique
2-1-2-3- Mots latins empruntés au grec
2-1-3- Les mots perdus
2-1-3-1- Sortis du vocabulaire nautique
2-1-3-2- Mots devenus inutiles
2-1-3-3 Mots remplacés
2-2- Le voyage dans l’espace méditerranéen
2-2-1- L’italien et le provençal
2-2-2- L’arabe et le turc
2-2-3- Le grec, l’espagnol et le portugais
2-3 Un vocabulaire spécifique
2-3-1- Des mots adoptés par tous
2-3-2- La marine du Levant
2-3-3- Les apports extérieurs
3- Le voyageur et la Méditerranée
3-1- Une découverte
3-1-1- Des lieux
3-1-1-1- La navigation
3-1-1-2- La terre : les îles et les ports
3-1-1-3- les présupposés à l’épreuve de la réalité
3-1-2- Des autres
3-1-2-1- Les compagnons
3-1-2-2- Les hôtes de rencontre
3-1-2-3- Divers autres
3-1-3- Des différences
3-1-3-1- Les langues
3-1-3-2- Les « étrangers »
3-1-3-3- Les coutumes
3-2- Un spectacle
3-2-1- Permettant la connaissance
3-2-1-1- La ville de Venise
3-2-1-2- L’arsenal de Venise
3-2-1-3- Des endroits remarquables
3-2-2- Un spectacle plaisir
3-2-3- Quelques scènes
3-3- Une possible révélation de soi
3-3-1- Les dangers : tempêtes, écueils, pirates
3-3-1-1- Se noyer
3-3-1-2- Tempêtes et bonasses
3-3-1-3- Les pirates
3-3-2- Les réactions des voyageurs en péril
3-3-3- Les mots pour le dire –la mise en scène du moi
Conclusion
Annexes
– Bibliographie
– Corpus détaillé
– Cartes
La Méditerranée en 1200
La Méditerranée en 1300
La Méditerranée en 1400
La Méditerranée en 1500
La Méditerranée en 1600
– Classement des mots par origine
– Mots relevés dans le corpus

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