La propagande par les mots et les écrits les revues et les anasheed

La propagande par les mots et les écrits les revues et les anasheed

Les mots, par leur habilité à communiquer des émotions, sont des armes. Ils peuvent influencer et ils peuvent violenter et blesser les individus qu’ils ciblent. Au sujet de l’influence télévisuelle, Pierre Bourdieu affirmait justement la chose suivante, « Ces mots font des choses, créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou, simplement, des représentations fausses. » 0 . Quand la violence s’exprime à travers les mots, elle est symbolique et son impact, s’il ne touche pas l’altérité physique, est psychologique et intervient dans l’ordre des émotions1. Philippe Braud rappelle que la violence symbolique s’exprime dans l’ordre des représentations2, et que « cette violence est symbolique en ce sens que le dommage causé opère au niveau identitaire, c’est-à-dire affecte, de manière dépréciative, des représentations de soi. Associée ou non à une violence physique, toute violence symbolique entraîne la perception, éphémère ou durable, d’une humiliation, d’une fragilité et d’une impuissance. »3. Ensuite, dire que le support textuel a une influence certaine sur l’action militariste n’est pas un constat récent, il est au fondement même des organisations militaires occidentales qu’il régit4. Plus intéressant est de préciser que ce constat s’applique aussi au militantisme armé. Les textes marxistes ont par exemple joué un rôle évoqué dans nombres de mouvements sociaux, et joueraient, pour Keucheyan Razmig, un rôle dans l’évolution des violences collectives et l’élaboration des stratégies militaires en France5. Les écrits de penseurs du djihad armé, comme Abu Bakr Naji ou Abu Al Suri, ont inspiré les cadres de l’Etat Islamique dans la construction d’une méthode de domination par la peur et le chaos organisé6. Le groupe, conscient du pouvoir des mots pour recruter et terroriser, a ensuite créé ses propres supports textuels. Ce support lui permet d’influencer ses membres mais aussi et surtout d’assoir sa politique, ainsi que sa doctrine de l’ennemi. Aya Mcheimeche décrit ainsi le style emprunté par les textes visés, « par le biais de ses nombreux combattants étrangers, Daesh a emprunté les codes de communication pourtant propres à l’occident, les codes « journalistiques ». » . Il existe en effet un autre volet de propagande créé par l’organisation en direction de l’étranger, et diffusé sur sa chaine Al Hayat Media Center. Nous le décrirons comme plus érudit, mais surtout plus prosélytique que le contenu vidéo. Il s’agit d’une part des revues, et d’autre part de chants islamiques a capela appelés anasheed, instrumentalisés ici à des fins terroristes. Dans le cas des revues, elles existent dans différents formats et dans plusieurs langues, et s’appuient sur une méthode qui intègre une dimension théologique et informative très centrale. Elles sont définies par un style soigné, une charte graphique, des illustrations, et des références multiples à l’actualité du groupe, à l’histoire prophétique et à la religion. Les chants djihadistes jouent également un rôle important, leur production est à la fois riche et variée. Pour Hasna Hussein, ils ciblent particulièrement les jeunes sympathisants, « pour les jeunes, les anasheed constituent un outil d’initiation et de préparation au djihad, mais aussi d’apprentissage et d’adhésion au groupe. » 8. Pour Velasco Pufleau le rythme est presque aussi important que les paroles pour retranscrire différents registres de l’émotion9. Ces émotions s’intègrent aux catégories de chants dégagées par Saïf Benham0. Ces chants apportent une contribution essentielle à la production des vidéos du groupe et à l’instrumentalisation des affects des cibles.

Les revues créées par l’État Islamique : présentation d’un corpus littéraire

L’Etat Islamique n’est pas la première organisation djihadiste à créer sa propre revue à l’attention d’un public étranger. Al-Qaïda est précurseur avec Jihad Recollections en 2009, mais surtout sa revue officielle Inspire, diffusée en anglais sur Internet entre 2010 et 20173. L’Etat islamique a cependant poussé sa production littéraire à un autre niveau, en termes de quantité et de contenu. En effet, il arrive à se démarquer de sa concurrente et prédécesseur, puisque sous sa domination six revues voient le jour et se déclinent jusque dans huit langues. Si Inspire est le guide complet de l’apprenti terroriste4, les revues de l’Etat Islamique se veulent plus variées et touchent à davantage de sujets. Alors qu’Inspire se focalise en particulier sur un djihad terroriste à domicile dirigé vers l’Amérique, l’Etat Islamique donne une place importante au djihad sur zone, au projet califal et aux considérations d’ordre théologique. Haroro Ingram, qui compare la première grande revue de l’Etat Islamique Dabiq à Inspire dit ceci, « Inspire s’appuie fortement sur les appels au choix de l’identité, tandis que Dabiq a tendance à équilibrer les messages de choix d’identité et de choix rationnel. » 5. L’Etat Islamique tend à persuader comme à convaincre. On note que l’organisation Jabhat al-Nosra, affiliée à Al-Qaïda et principale concurrente de l’Etat Islamique dans la région, se dote aussi de sa revue, Al Risalah, à partir de juillet 2015. Al Risalah se focalise surtout sur la question syrienne et la critique de l’Etat Islamique. A noter que le journal ou le magazine, papier puis numérique, est une méthode de propagande utilisée par des nombreuses organisations depuis l’avènement de la presse. Elle est l’outil d’organisations étatiques totalitaires comme démocratiques6, mais aussi terroristes. L’Etat Islamique a su se réapproprier cette méthode et la moderniser afin de l’adapter à son époque, son public, et sa doctrine. Les revues éditées par l’Etat Islamique ont été six à paraître à partir de 2014 et jusque 2016 sur la chaine Al Hayat Media Center. On note que leur production s’est intensifiée et professionnalisée après la proclamation du Califat à l’été 2014. Elles sont traduites dans différentes langues, et s’étalent sur plusieurs numéros de plus en plus étoffés au fil du temps. Elles se déclinent sur des formats allant parfois jusqu’à une centaine de pages, organisées en rubriques et reportages sur des sujets variés. Après 2017 les revues disparaissent en même temps que l’organisation recule sur le terrain. La dernière en date est Rumiyah, elle semble prendre la succession de toute les autres, avant de s’arrêter en septembre 2017 après un treizième numéro. Nous citerons toutes ces revues, mais seules quatre des plus importantes ont pu être lues dans leur ensemble et seront soumises à notre analyse, Islamic State News, Dabiq, Dar Al Islam et Rumiyah. La barrière de la langue s’est imposée pour les autres, Istok et Konstantiniyye. Les revues ont été lues en anglais et en français. Il est intéressant de noter que Dabiq et Dar Al Islam ont au départ beaucoup en commun, elles partagent des rubriques, des interviews, des articles. Dar Al Islam, cependant, s’adresse en priorité à un public francophone. 

Informer et éduquer pour recruter et fidéliser

Le contenu des revues se définit par ses objectifs, mais aussi par les moyens mobilisés et les références utilisées dans leur contenu pour les atteindre. On retrouve la typologie dégagée précédemment352, mais également une dimension propre aux revues, et dégagée par Brandon Colas dans Dabiq : « Le magazine n’est pas, malgré les apparences, principalement conçu pour des efforts de recrutement directs ou d’incitation à la violence contre l’Occident. En fait, les principaux publics de Dabiq sont les musulmans anglophones de deuxième génération ou les convertis, les décideurs politiques occidentaux et un troisième groupe de membres actuels ou potentiels de l’EIIS qui ne s’intègrent pas à l’organisation elle-même. » 353 . Les revues s’adressent en priorité aux membres du groupe, qu’elles tendent à éduquer. L’information et l’éducation religieuse et idéologique sont des objectifs centraux. Si le panel de cibles est assez proche de celui déjà cité, elles s’adressent aux sympathisants et recrues étrangères, mais aussi à l’ennemi, elles se dirigent plus largement vers les membres déjà acquis que les vidéos. Les références religieuses théologiques et historiques issues du Coran et de la sunna sont très nombreuses354. Les articles sont généralement longs et étoffés, ils se déroulent sur plusieurs pages et sont largement illustrés de photos et de sourates et hadiths355 . Le premier objectif des revues est d’informer sur les avancées militaires et sociales du califat. Le second objectif survient en complémentarité du premier, les revues ont une dimension éducative et prosélytique très importante. Elles visent à éduquer les membres à l’islam préconisée par l’organisation comme seule vérité, mais également à sa doctrine et son idéologie. En ce sens, les revues constituent également un manuel de la vie sous la bannière de l’Etat Islamique et un guide spirituel pour les hommes comme les femmes. 

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