L’Adieu aux excentriques

L’Adieu aux excentriques

Une jeune fille ostracisée : Le Trésor de Cantenac (195O)

Le baron de Cantenac, âgé, pauvre et dépressif, organise son suicide. Avant de disparaitre, il visite le village de ses ancêtres, peuplé de paysans stupides et cruels. Les seuls qui échappent à sa vindicte sont un poète un peu fou (Roger Legris), la fille (Lana Marconi) de la mercière (Jeanne Fusier-Gir), son amoureux timide (Michel Lemoine) et un sympathique centenaire (Marcel Simon) qui cherche le Baron depuis longtemps pour lui remettre le Trésor des Cantenac, perdu depuis la Révolution. Le généreux baron distribue les terres qu’il a achetées aux villageois et il reconstruit le château. Il reprendra l’activité de souffleur de verre exercée autrefois par ses ancêtres. Paul et Virginie, enfants du village, sont en fait les descendants des Barons de Cantenac. Paul est un Pidoux et Virginie une Lacassagne et ces deux familles se partagent le village. Grâce à l’argent du baron et à la reprise de ses activités artistiques, le maire, instituteur de gauche, et le curé se réconcilient. Au cours d’un repas qui dure autant que le film, Guitry promet qu’il tournera cette intéressante histoire. Selon Lorcey394, le film fut un peu bâclé pour qu’il puisse être offert à Lana Marconi comme cadeau de noces. Guitry et Lana Marconi se marièrent en novembre 1949 et le film fut prêt à ce moment-là, même s’il ne fut projeté qu’en mars de l’année suivante. Une première partie, très virulente, rappelle la méchanceté et le brio sympathiques du Roman d’un tricheur alors qu’une second partie plus « optimiste » décrit un châtelain distribuant son argent aux pauvres sous la houlette d’Eulalie /Pauline Carton. Une longue procession finit par réunir le village autour de son châtelain déguisé en artisan souffleur de verre. C’est une célébration quelque peu vichyste du travail et de la patrie en présence des villageois processionnaires, obéissants et convaincus, autour de leur suzerain bien aimé. Quand le baron fait reproduire en dur le château de ses ancêtres dont il ne possède qu’un dessin, il veut que celui-ci soit « bien français », ce qui rappelle fâcheusement le « béret français » du client fascisant de L’Affaire est dans le sac (Prévert, 1932)

L’actrice Lana Marconi joue un double rôle dans ce film

D’une part la femme du metteur en scène c’est à dire Madame Guitry qui reçoit dans son salon et à sa table et, d’autre part, la fille de la mercière du film, ce qui fait que dans la première scène où Guitry reçoit les villageois de Cantenac, elle se parle à elle-même et se trouve « sympathique ». Le metteur en scène lui raconte périodiquement le script, à table, pendant tout le film qu’elle jouera et qu’elle joue à l’avance devant nous. Elle est donc à la fois actrice et spectatrice du film et se déplace sans cesse du réel à la fiction. Sans oublier que le réel du film ( e repas chez Madame Guitry) est aussi une fiction. Elle y a, pour la première fois, un partenaire de son âge. « Tiens, un vieux monsieur ! », dit-elle à sa mère en voyant passer Guitry/ Baron de Cantenac dans la rue, ce qui est une remarque assez amère et autodestructrice de la part de l’auteur. Elle parait d’ailleurs beaucoup plus jeune que d’habitude en mercière raffinée qui salue le Baron par une révérence et relève ses cheveux en un élégant chignon. Dans la scène où elle fait un pied de nez à sa mère, elle a même peuplé sa chevelure d’aimables papillotes assez juvéniles. Elle porte en outre une impressionnante collection de robes fleuries que Guitry/Paul se plait à rallonger parfois (Pour qu’elle ressemble à celles de sa belle-mère la « tsigane » Mirela Marconi,) Que fait donc l’aristocratique Virginie dans cette kermesse villageoise ? Elle s’ennuie car personne ne veut d’elle. Guitry ne donne pas ici des paysans une image très flatteuse, au début du moins. Ils se conduisent avec Virginie comme avec la tsigane qu’ils blessent stupidement au front. Le sang coule et l’image est pénible à voir mais les gens du village sont tout aussi cruels avec Virginie moralement. Ils l’humilient par leurs remarques désobligeantes et leur mépris. Lana Marconi a subi cette vindicte populaire et Guitry n’a pas oublié non plus les violences de la Libération dans les campagnes françaises. Virginie est parfaitement ostracisée par le village et on lui reproche, comme à Marie-Antoinette, sa petite tête fine et son long cou. En conséquence, elle ne trouve pas de mari, ce qui la désespère car c’est une femme selon l’idéal de Guitry, qui ne saurait donc exister qu’à travers un mari. Seul le fou reconnaît qu’elle est belle et Paul est amoureux mais se montre trop timide et trop romantique. Hélas pour nous, la joyeuse et volubile Ecaterina a disparu. Comme dans Le Roman d’un Tricheur, Guitry commente souvent l’action et parle même à la place de ses personnages. Ainsi dans la scène atroce où le centenaire, à table, se moque de sa famille, c’est Guitry qui parle à sa place et le vieillard se contente de grimacer et de rire comme au cinéma muet. Lors des séquences du repas, avenue Elysée Reclus, Lana Marconi, telle Madame Martin dans Les Perles de la Couronne, se contente d’admirer ce que dit son mari et ne commente pas. C’est, encore une fois une icône muette. Dans le récit proprement dit, elle parle davantage mais pour ne dire que l’essentiel. En revanche, les regards qu’elle échange avec Paul sont prolongés, significatifs et émouvants. Leurs regards ont l’intensité de ceux des acteurs du cinéma muet. Elle sourit peu et très subtilement si bien qu’elle force l’attention. L’exception à la règle, c’est évidemment le superbe et joyeux pied de nez qu’elle décoche à sa mère de cinéma (Jeanne Fusier-Gir) au beau milieu de la cérémonie finale. On se demande alors si elle pense à Mirela qui l’agaçait tellement. En revanche, Guitry lui confie une chanson qu’elle interprète d’une voix chaude et bien timbrée, n’en déplaise à Armel de Lorme, et elle danse avec son amoureux une rumba sentimentale. On se rappelle qu’il a déjà fait chanter Yvonne Printemps et Geneviève de Séréville. « Danse avec moi, Sans savoir si mon cœur est fidèle ou moqueur, déloyal ou sincère. Et si tu me trahis Peu m’importe aujourd’hui, Demain, je t’abandonne. Tu sauras demain Si tu n’es qu’un serin. » Ces paroles sont à peine plus subtiles que celles des chansons que compose Charlotte Lysès, à la même époque. On y retrouve l’infidélité chronique et le côté éphémère des amours avec sa métaphore empruntée à Faisons un rêve : « C’est la fin du rêve ». On y trouve aussi l’idée que la danse symbolise l’intermittence des 350 sentiments, que ce soit un « quadrille » ou une rumba. On y trouve, comme d’habitude, une misogynie latente. Paul est peut-être « un serin, » ce qui n’est pas très grave, mais Virginie peut être « méchante, déloyale, moqueuse » ou même « sincère ». Ce n’est quand même pas un texte écrit par Marivaux, auquel Guitry fait allusion au début de cette scène de dépit amoureux alors que les deux jeunes gens, adossés tous les deux à une porte grillagée, n’ont ni le courage ni l’humilité nécessaires pour s’inviter à danser. Ils choisissent exprès des cavaliers peu séduisants : une mégère de la maison du centenaire pour Paul, un fou qui refuse de l’épouser pour Virginie. Mais « miracle de l’amour » comme dit Guitry, l’éternel adolescent, Paul qui rêvait de la tsigane à la longue jupe, lapidée par les villageois au début, rallonge mentalement sa jupe courte. 

Le couple

Virginie /Lana rencontre trois fois le Baron/Guitry dans Le Trésor de Cantenac mais ils n’y sont ni mariés ni amants. Ils se rencontreront une première fois lors de la distribution des terres par le Baron conseillé par Eulalie/ Pauline Carton mais Virginie sera muette, une fois de plus, et elle sourira à peine. La seconde fois, ce sera quand le baron viendra lui parler de sa trisaïeule qui eut un enfant avec son ancêtre. Remarquons que ces amoureux ont des prénoms légendaires issus du roman de Bernardin de Saint-Pierre et qu’ils appartiennent l’un et l’autre à une des deux 395 Noël SIMSOLO, Sacha Guitry, Cahiers du cinéma, Col. Auteurs, 1988, p.127. 352 familles qui se partagent le village : les Pidoux et les Lacassagne, bien que ces deux familles ne soient pas aussi ennemies que les Capulet et les Montaigu. Pourquoi cette double allusion à des personnages littéraires ? Guitry ne peut plus jouer les amoureux ou les amants de son épouse, et il ne lui confie qu’un partenaire de légende éthéré et lointain qui ne le gêne pas. L’acteur Michel Lemoine semble être en proie à un songe comme chez Cocteau et il est quasiment muet pendant tout le film. Paul prendra quand même nettement position contre le Baron lors de sa visite, en se plaçant ostensiblement derrière le siège de Virginie. Amoureuse de la litote, elle se contentera, pour lui déclarer son amour, de lui chuchoter à l’oreille ce que le Baron vient de lui dire, à savoir qu’il est charmant. « Ce n’est pas un menteur, vous êtes charmant ! », murmure-t-elle. Le Trésor de Cantenac marque la fin du couple Guitry en tant que duo d’amoureux. Trente-sept ans les séparent et il est de plus en plus difficile aux spectateurs d’y croire. Et pourtant, le contraste n’était pas aussi brutal, au début, entre Guitry et Lana Marconi qu’entre la femme-enfant qu’était Geneviève de Séréville et lui. Il ne lui proposa d’ailleurs jamais de l’adopter et elle-même ne tenait pas tellement à se rajeunir. Pour gommer la différence d’âge, elle s’habille souvent en « dame » (tailleurs stricts, chemisiers clairs et jupes sombres) et on regrette parfois les ahurissants « bibis » de Jacqueline Delubac En dépit de tous ces efforts d’ajustement, la différence d’âge est de plus en plus marquée et Guitry l’a compris. Cette fois-ci, ce sont donc leurs ancêtres – et non eux – qui se sont aimés. Paul, l’amoureux de Virginie, est jaloux du baron mais il ne risque rien. Il va même être adopté par lui et deviendra Baron de Cantenac (on ne comprend donc pas très bien pourquoi le baron le présente comme son gendre, lors de son arrivée à Elysée Reclus à moins d’imaginer que Guitry pense, une fois de plus, que son épouse est sa fille). Il est vrai que Guitry et sa femme seront encore brièvement amants dans Deburau mais le mime sera vaincu par le prestigieux Armand Duval. Ils feront quelques pas chaotiques ensemble dans Napoléon où Lana Marconi sera Marie Walewska mais Napoléon ne sera pas Sacha Guitry. Surtout, le couple fatigué se retrouvera une dernière fois au cinéma dans Je l’ai été trois fois où Guitry fait peine 353 à voir et où Lana Marconi parait s’ennuyer ferme sauf lorsqu’elle parle avec Bernard Blier. Le brillant couple Guitry-Delubac de l’avant-guerre et le couple complice Guitry/ Marconi des deux films précédents sont donc quasiment oubliés. 

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