Le podcast natif, un média propice aux récits à la première personne

Le podcast natif, un média propice aux récits à la première personne

Intimité du podcast et récits personnels  

Comme nous avons pu le montrer, le podcast semble être un média propice aux récits dans la mesure où il donne à entendre une voix, renouant ainsi avec la tradition de la narration orale, et permettant d’être au plus près des émotions suscitées par les histoires racontées. Nous allons désormais nous intéresser plus spécifiquement à la narration à la première personne, au récit qui est porté par un « je » – puisqu’il s’agit de ce qui caractérise Transfert – et tenter de montrer en quoi le podcast natif est favorable à l’émergence d’une subjectivité. Bien que les personnes interviewées dans Transfert soient anonymes, raconter une expérience de vie repose sur un pacte de confiance. Il y a une forme d’intimité dans l’adresse à la première personne, qui est parfois si forte que certains auditeurs qualifient Transfert de « journal intime enregistré » 72, et, presque tous les auditeurs interviewés déclarent se mettre dans la peau d’un ou une amie à qui la personne se confie : « On a vraiment l’impression que le récitant se confie à nous, et non pas à un journaliste. C’est à moi qu’elle parle ; il n’y a pas d’intermédiaire entre son récit et moi. C’est une position privilégiée qu’on entretient avec la personne. […] C’est vraiment comme si on me racontait cette histoire directement, en tant qu’amie on va dire. »73 Si effectivement l’emploi de la première personne du singulier donne au récit un caractère intime, le podcast, en tant que canal, n’est pas un pur opérateur technique qui relaie cette parole, et semble lui aussi réunir les conditions favorables à la création d’un contexte d’intimité. On pourrait postuler que ses spécificités techniques et ses usages sociaux lui confèrent une « médiativité » 74 de l’intime. Il faut dire que la notion d’intimité est une sorte de leitmotiv quand on évoque les podcasts natifs : les producteurs et réalisateurs de podcasts s’y réfèrent souvent pour caractériser la spécificité audio de leur média. Ne faisant intervenir que la voix, le podcast laisse la porte grande ouverte pour l’imagination de l’auditeur, l’histoire narrée pouvant davantage rentrer à l’intérieur de lui, comme s’il était dans un cocon. Pour les témoignages de vie, le format vidéo, au contraire, semble davantage ramener au réel, ne permettant pas (ou moins) cette mise à distance favorable à l’imaginaire. Tous les auditeurs interviewés dans le cadre de notre enquête en attestent : l’audio est un tremplin pour laisser libre cours à l’imagination. Ils acceptent de laisser l’histoire s’imprégner en eux et que des images viennent à leur esprit : « Ce qui est génial, c’est que justement, tu ne t’attaches à rien d’autres qu’à la voix. Tu imagines ce que tu veux. Par exemple, l’épisode de l’histoire d’amour en Inde, on serait peut-être hyper déçus en voyant son visage. […] c’est pour ça que j’écoute ça avant de dormir, y’a une espèce d’immédiateté où justement ça ne transite par rien d’autre que par le son. En cela, je retrouve un peu un côté romanesque, dans le sens où cela stimule ton imagination. » 75 L’intimité propre au podcast – qui favorise les récits personnels – s’incarne aussi dans les modalités de consommation inhérentes à ce média. Les podcasts s’écoutent souvent seul, sur un poste fixe ou sur un téléphone mobile, la plupart du temps chez soi ou lors de trajets quotidiens pour se rendre sur le lieu de travail. Au contraire de la radio qui peut être écoutée par toute une famille lors du petit déjeuner, le podcast accompagne volontiers les tâches du quotidiens réalisées de manière solitaire : faire la vaisselle, plier des vêtements, prendre la voiture ou les transports en commun pour aller travailler : autant de moments propices pour écouter son podcast sans être dérangé. Les témoignages des auditeurs interrogés convergent tous dans ce sens : « [J’écoute ce podcast] tout le temps toute seule. Je ne me verrai pas du tout l’écouter avec d’autres personnes. Je trouve que c’est bizarre : deux personnes assises autour d’une table et un téléphone au milieu. Quand je suis avec des gens, je bois des coups, mais je ne me verrai pas l’écouter avec quelqu’un. J’aurais envie de parler et d’interrompre le podcast. »

Participation des auditeurs : un contenu en adéquation avec des individualités

Les podcasts sont un média individuel dans la mesure où l’auditeur choisit avec soin le moment et le contenu de son écoute – même si, évidemment, les plateformes qui hébergent les podcasts ciblent les consommateurs. L’individualisation des contenus va plus loin puisque, dans le cas de Transfert, les auditeurs sont aussi cocréateurs. A l’inverse de la radio, qui demeure un média de masse avec une grille de programmes répétitive, nombreux sont les réalisateurs de podcasts qui font directement appel à leur audience, non seulement pour les choix de thématiques, mais aussi pour participer pleinement à la création du contenu. Cette tendance est largement en lien avec le développement d’internet : le public n’est plus considéré comme une masse anonyme à laquelle on délivre une information manière  verticale. C’est un modèle plus individualisé qui s’affirme, au sein duquel les interactions entre usagers et créateurs sont encouragées, à l’image des blogs, des chats, des forums qui remplacent progressivement les médias de masse.80 Dans le cas des podcasts de Slate.fr, il est possible d’écrire à la rédaction pour proposer un sujet de podcast, comme cela est indiqué sur le site internet. Les auditeurs peuvent également se rendre sur la page Instagram de Transfert pour commenter les publications liées aux épisodes déjà diffusés ou à venir. Ces interactions sont encore plus poussées dans la mesure où chaque épisode de Transfert se fonde sur le récit d’un auditeur du podcast. Sur le site de Slate, dans l’onglet contact, et sur le descriptif qui accompagne chaque épisode, se trouve une adresse mail à laquelle on peut envoyer son histoire :  Le journaliste Alexandre Mognol, qui a réalisé de nombreux épisodes du podcast, dit qu’en 2017 l’équipe de Transfert recevait environ une dizaine de propositions tous les mois via cette adresse. 81 Ce modèle médiatique horizontal et interactif, inspiré des échanges qui ont lieu sur les réseaux sociaux, est encouragé par les podcasts natifs. Dans la mesure où le public est envisagé comme une multitude d’individus et non comme une masse, le podcast natif se prête particulièrement bien aux récits personnels. Et ce que propose Transfert va au-delà de la simple interaction avec une audience puisque chaque épisode est un récit co-construit avec l’un des auditeurs du podcast. Ce dispositif permet également de donner voix à des individus ordinaires que l’on n’entendrait pas dans les médias traditionnels.

Politique du discours : un espace pour des paroles restées à la marge

Pour Carol Gilligan, fondatrice de l’éthique du care, « être féministe commence par la nécessité de faire entendre des voix rendues inaudibles pour penser une éthique de l’égalité des voix à l’encontre de la domination masculine accolée à une norme morale qui la sert et la confirme. » 82 A cet égard, Slate.fr a toujours mis en avant un espace dédié aux voix et sujets peu ou pas représentés dans les médias traditionnels. Aujourd’hui, on retrouve ce fil sous l’intitulé « Diversité». La même volonté de mettre en avant des voix peu médiatisées se retrouve dans Transfert, qui donne à entendre des catégories socio-politiques « discriminées » – comme les femmes – et permet de laisser place à des sujets du quotidien et de l’intime. La créatrice du podcast se revendiquant comme féministe, les modalités énonciatives propres à Transfert – c’est-à-dire, entre autres, l’utilisation de la première personne du singulier – concourent également à revendiquer une diversité de points de vue, qui n’est pas permise par l’institutionnalisation des médias, selon Charlotte Pudlowski : « Dans ce concept de vouloir faire émerger des récits individuels et des récits qui ont parfois du mal à exister, dans le « on » collectif, qui, pour moi, est un « on » excluant, il y avait l’idée de raconter des récits de gens que l’on n’entend pas toujours. ».

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