De World of Warcraft à Dungeons & Dragons

À table avec dragons, rois et magiciens

« Vous êtes dans une arène énorme. Qui est en fait un Vaisseau-Bouche. Et donc là, vous vous réveillez avec une grosse gueule de bois et en fait vous êtes immergés dans du pétrole magique […]. Il y a des gradins de chair sur les côtés. Et vous êtes attachés à des piliers. Quand je dis vous, c’est tous vos personnages. Tous vos personnages sont là. Le pétrole magique monte de plus en plus. Et en même temps vous voyez un énorme monstre tentaculaire qui a…[des dés roulent] mille tentacules qui est en train de venir vers vous. Au bout de la salle, il est à quelques centaines de mètres et sur les côtés c’est que des gradins avec, allez, il y a peut-être un petit milliard de personnes qui sont là. Ils sont serrés. Et donc, qu’est-ce que vous faites ? » [Journal de terrain, 07 octobre 2017, partie one-shot de Mantoïde à la MJC].D’un point de vue anthropologique, aucune recherche n’a été produite sur les jeux de rôle, à l’exception d’un mémoire de maîtrise qui reste toutefois dans une perspective fonctionnaliste du jeu de rôle, considéré comme un espace d’expression créé par un groupe de pairs qui a la fonction de construire des cadres alternatifs à ceux, en ruine, de l’école, de la famille et de la religion [Manis- calco, 1995].

De plus, en épluchant les différentes bibliographies présentes dans les ouvrages traitant des jeux et jeux de rôle en français, j’ai été accablé de voir deux ou trois sources1 revenir sans cesse, sans que ne soit approfondi davantage l’état des recherches produites sur ce sujet. Compte tenu de cette ca- rence, j’ai travaillé ce mémoire comme une tentative de présentation plus ouverte, quoique non ex- haustive, des recherches internationales à propos du jeu de rôle. La nécessité de travailler un corpus interdisciplinaire s’est alors imposée. Les différents chercheurs qui travaillent le jeu de rôle pro- viennent de nombreuses filières universitaires (sociologie, psychologie, littérature, théologie) ou du monde professionnel (designers ou concepteurs de jeux). Apparaît alors une diversité d’approches et de méthodes qui me permettent, à partir d’une analyse des différents points de vue, d’appréhen – der les différents thèmes inhérents au jeu de rôle comme la création, la fiction, les interactions, le groupe, l’investissement d’un personnage.

De World of Warcraft à Dungeons & Dragons

Depuis longtemps joueur de jeux vidéo, je me suis d’abord tourné vers les jeux de rôle pour y jouer avec des amis, pour passer d’une pratique en solitaire à une pratique collective du jeu. Je me suis initié tout seul au jeu de rôle au cours de l’année 2016, lorsque j’ai décidé de travailler le statut du Maître de Jeu (MJ2) afin de jouer au Donjon de Naheulbeuk : le jeu de rôle (2009) avec des amis. Pour ce faire, il m’a fallu accéder en ligne aux différents manuels, les lire et apprendre à m’y référer en jeu. J’ai aussi dû apprendre à écrire des scénarios pour mes joueurs, en essayant de mêler ambiance, intrigue, difficulté, en essayant de penser aux maximums d’éventualités, les actions des personnages étant régies non seulement par la parole des joueurs mais aussi par le hasard.

En septembre 2017, je me suis inscrit dans l’association de jeu du Troll Fringuant, qui organise deux fois par mois des sessions de jeu de rôle dans une Maison de la Jeunesse et de la Culture (MJC) d’Aix-en-Provence. Lors de ces sessions, des tables se « montent3 » à 14 et 18 heure au fur et à mesure que les joueurs arrivent. On y joue principalement des parties en one-shot, qui ne durent que le temps d’une session (entre trois et huit heures de jeu). Dans un one-shot, la fin de la quête marque la fin de la partie et cette dernière n’est pas reconductible. Ce type de partie permet de jouer à de nombreux jeux avec différents participants. Dans les one-shot, beaucoup de règles sont occultées, n’étant pas considérées comme utiles dans le temps court de la partie.

Mon passé de joueur de jeux de rôle en ligne (MMRPG) et mes lectures personnelles ont contribué à ma familiarisation rapide avec le milieu des jeux de rôle sur table et ses références. J’avais le bagage sémantique adéquat pour comprendre et participer sans mal aux discussions. De plus, le fait que je sois un jeune homme d’une vingtaine d’années connaissant ses classiques m’a permit de me fondre facilement dans la sociologie des rôlistes5.Au cours de l’année scolaire 2017-2018, j’ai joué dans deux groupes de campagne, se tenant chacun dans l’espace domestique privé de l’un ou l’autre des participants. La première est une campagne de Centaure, les Colonies, un jeu de science-fiction non encore commercialisé, créé par Barnabé qui était aussi notre MJ. Notre groupe est constitué de Barnabé (MJ), Nicolas, Octavius, Balthazar 6 et de moi-même. Nous sommes cinq hommes entre 19 et 35 ans, et avons joué assez régulièrement une fois par semaine ou tous les quinze jours, avec toutefois quelques pauses plus longues. Chaque partie dure entre cinq et dix heures, la plupart du temps au domicile de Barnabé.

La seconde est une campagne du Jeu de Rôle des Pas Supers-Normaux que j’ai moi-même créé et que je mène. Nous constituons un groupe de trois, les deux joueuses étant des amies proches. Au cours de ce mémoire, je n’utilise pas d’exemples ethnographiques tirés de cette campagne. Cepen- dant, créer un jeu et revêtir la casquette de MJ m’a permis de comprendre de nombreux points im – portants dans la construction d’un jeu, de scénarios, d’un récit qui se file et se crée sur le long terme. Il m’a aussi permis de noter la différence d’état notamment corporel qui existe entre les MJ et les joueurs que synthétise Gary Alan Fine : « I learned that refereeing and playing ‘felt’ different. Playing was exhausting, and even boring at times. By the end of an evening of playing I felt drained. Yet when I refereed I was energetic throughout the entire evening without needing caf- feine » [Fine, 1983 : 250].

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *