INFINITIF APOCOPE versus INFINITIF PLEIN

INFINITIF APOCOPE versus INFINITIF PLEIN

Infinitif verbal et infinitif nominal

Il existe deux emplois distincts de l’infinitif : l’un l’apparente aux noms, l’autre aux verbes. C’est ce second emploi que nous étudierons ici. L’infinitif apocopé est quasiment toujours verbal388. Pour distinguer l’emploi verbal de l’emploi nominal de l’infinitif plein, nous partirons des critères de Mir-Samii et Samvelian389 établis pour le persan contemporain, tout en gardant à l’esprit que les structures d’un état de langue peuvent ne pas nécessairement découler de celles d’un état de langue antérieur. Ces critères relèvent de trois niveaux : morphologie, syntaxe et distribution de l’infinitif. Pour ce dernier, dans notre corpus, les infinitifs verbaux sont tous compléments d’un verbe, soit modal390, soit portant l’idée de « commander », « oser », « savoir », ou de « commencer à », « se mettre à ». Voyons à présent quelle est la situation morphologique et syntaxique de nos infinitifs.

Critères relevant de la morphologie

Sur le plan morphologique, lorsque l’infinitif est suffixé de la marque du pluriel,de l’indéfini, ou de l’enclitique possessif, ou bien qu’il est relié à son objet (voire son
sujet) par l’ezāfe391, il relève de la catégorie nominale. Ces infinitifs pleins ne seront pas pris en compte dans notre étude. C’est le cas des infinitifs pleins employés avec vājib ast, « il est obligatoire » 392, et farīza ast (ou āyad), « c’est une obligation », dans HM, par exemple en (1a) et avec hukm āvardan, « ordonner », dans PR (1b). Le sémantisme du verbe régisseur est à écarter : l’infinitif est nominal après ces verbes, mais il est verbal quand il est complément de verbes de sens voisins bāyad, « il faut », et farmūdan, « ordonner ».(1) a. bar har mardumē vājib-ast āmōxtan-i šarī‘at« il est obligatoire d’enseigner la loi à chaque être humain » (HM 14, 2-3)hukm āvard ba-giriftan393 va burdan-i īn za‘īf« il ordonna de prendre et d’emmener ce pauvre » (PR 21, 21)D’autres morphèmes, en revanche, pourraient indiquer un infinitif verbal. Ainsi,même si l’on ne peut jamais lui adjoindre de désinences personnelles, ni le morphème mē-, et qu’on ne le rencontre pas dans nos textes avec la négation na-, l’infinitif est susceptible de porter le préfixe verbal bi- (2). Notons que cette dernière combinaison n’est plus possible en persan contemporain en raison du changement de fonction de bi-. Il s’agit néanmoins de rares cas particuliers : bi- est préfixé à l’infinitif avec le verbe giriftan (5 occurrences, 2 dans HM et 3 dans TS) et une seule fois avec un verbe modal, szd, « il convient » (JP3 P, 8-9)394. En outre, bi- avec l’infinitif n’apparaît plus dans notre corpus après TS, soit après la fin du XIe siècle395
(2) bar sar-i Z bizadan girift
« il commença à porter des coups à la tête de Z » (TS 139, 1)Au final, il est malaisé de dire si la présence du préfixe bi- prouve que l’infinitif est verbal. Ainsi en (3), trois infinitifs pleins sont coordonnés : les deux premiers apparaissent reliés à leur objet par l’ezāfe (respectivement rēg pour rāndan et ān pour jam‘ kardan) et suivent donc le traitement nominal, quant au troisième, il est préfixé de bi- (bidāštan). Il serait alors difficile de considérer les deux premiers comme nominaux et le troisième comme verbal. En fait, c’est le changement de valeur de bi- qui en est la cause : qu’il soit modal en persan contemporain l’exclut d’une combinaison avec l’infinitif, un mode lui aussi, tandis que dans nos textes, sa valeur se situe sur un autre plan. Pour comprendre pourquoi il est susceptible de se préfixer à un infinitif nominal comme verbal, il faut le rapprocher du fonctionnement de la négation na- en persan contemporain, qui, elle aussi,peut s’adjoindre à un infinitif nominal comme verbal396. Ce critère morphologique,opérant pour le persan contemporain, ne l’est donc pas dans les états plus anciens de la langue.

Critères relevant de la syntaxe397

Expression du sujet

Pour l’étude du « sujet » de l’infinitif, nous n’avons envisagé que les verbes bāyistan, « falloir », et šāyistan, « être possible », c’est-à-dire des verbes impersonnels,parce que pour giriftan, « commencer à », tavānistan, « pouvoir », et xvāstan, « vouloir »,les sujets de l’infinitif sont avant tout les sujets de ces verbes. Si le sujet de xvāstan « veut » que quelqu’un d’autre que lui agisse, en d’autres termes, s’il n’y a pas coréférence entre le verbe modal et le verbe régi, ce dernier est alors toujours conjugué. Cela permet d’y adjoindre une désinence personnelle. Dans notre corpus, les emplois de šāyistan, « être possible », sont tous des impersonnels du type « il est possible de dire », donc sans mention du sujet de l’infinitif. Quant à bāyistan, « falloir », le sujet peut être réalisé sans être postposé avec l’ezāfe comme c’est le cas avec l’infinitif nominal398. Ainsi en (4a), il précède même le verbe modal régissant cet infinitif. Mais il est à remarquer que les seuls exemples où le sujet est exprimé de la même façon qu’avec un verbe conjugué n’apparaissent qu’avec l’infinitif apocopé. Pour l’infinitif plein, nous avons relevé une occurrence avec le verbe judéo-persan sz-, « convenir » (4b). L’agent de l’infinitif plein est marqué par la postposition rā mais il est aussi à analyser comme le destinataire du verbe régissant l’infinitif. Néanmoins, il ne s’agit que d’un seul exemple. Les occurrences nous manquent donc pour connaître le fonctionnement du sujet avec un infinitif plein régi par un verbe modal.

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