La Croissance Endogène sans Technologie

La Croissance Endogène sans Technologie

Les travaux des économistes Classiques, tels que Adam Smith (1776), David Ricardo (1817), Thomas Malthus (1798) et beaucoup plus tard Allyn Young (1928), Joseph Schumpeter (1934) et Frank Knight (1944) ont fourni beaucoup d’ingrédients de base qui apparaissent aujourd’hui dans les Théories Modernes de la Croissance Economique, tel que le comportement concurrentiel, les dynamiques d’équilibre, l’effet des rendements décroissants et leur relation avec l’accumulation du capital physique et humain, l’interactivité entre le revenu par tête et le taux de croissance de la population, les effets du progrès technologique sous forme de spécialisation du travail, etc.1 3.1.1. La Lignée de Pensée de Schumpeter Historiquement, après les Classiques et Marx, et durant plusieurs décennies, les économistes intéressés par la croissance économique étaient rares à trouver ; l’un d’entre eux est Joseph Schumpeter. Ses travaux, considérés comme fondateurs des Théories Modernes de Croissance, ont fait de lui une référence dans ce domaine. Schumpeter a tenté de juxtaposer les mécanismes économiques du court terme à ceux du long terme. Dans le court terme, la vision Walrasienne est respectée : les marchés sont en équilibre, et la concurrence parfaite permet une allocation efficace des ressources ; dans le long terme, les agents sont vite remplacés, les technologies et les marchés se renouvellent, la concurrence n’est plus parfaite, les conditions économiques sont généralement imprévisibles. L’innovation est alors au cœur du processus de la croissance. Schumpeter distingue cinq formes majeures d’innovation : les nouveaux produits, les nouveaux procédés, les nouveaux marchés, les nouvelles sources des matières premières et le changement dans l’organisation des entreprises2 . Nous avons précisé auparavant que Schumpeter n’avait pas proposé de modèle, mais juste des théories ; par contre, plus tard, un nombre d’économistes ont essayé de construire des modèles basés sur ces théories. Ces modèles se caractérisent par les points suivants3 :  Il s’agit toujours d’une croissance générée par l’innovation ;  Les innovations résultent des investissements faits par les entreprises dans la perspective de revenus monopolistiques ;  Les nouvelles innovations remplacent les plus anciennes, autrement dit, la croissance implique une destruction créatrice. La croissance, dans un tel modèle, résulte des innovations qui améliorent la qualité des biens intermédiaires utilisés dans la production de biens de consommation. Autrement formulé, si le bien intermédiaire précédent était de qualité , la nouvelle innovation va introduire un nouveau bien intermédiaire de qualité , où (la qualité augmente).  La croissance est générée via un processus de destruction créatrice, dans le sens où la concurrence permet à l’innovateur d’écarter du marché le fabricant de bien intermédiaire de qualité , puisque l’innovateur peut produire un bien meilleur avec les mêmes coûts. Selon l’idée précédente, les petites entreprises sont incapables de faire face aux groupes industriels dont la taille leur permet d’investir dans des projets de recherche onéreux, et leur donne plus de garantie envers les marchés financiers pour l’obtention de fonds. Cependant, Schumpeter juge que ces groupes seraient mieux gérés par du socialisme que par le capitalisme1 . La littérature empirique présentée par Aghion, Akcigit et Howitt (2014) a documenté quelques faits stylisés sur la croissance à l’aide de donnés microéconomiques, ces faits sont compatibles aux théories de Schumpeter : 2  La taille des entreprises a une distribution asymétrique ;  La taille des entreprises est hautement corrélée avec leur âge ;  Les petites entreprises quittent le marché plus fréquemment, mais celles qui survivent tendent à croître à un rythme au dessus de la moyenne ;  La plus grande part des Recherches et de Développement aux Etats Unis est réalisée par les entreprises les plus âgées ;  La réallocation des facteurs entre les entreprises nouvelles et les plus anciennes est une source importante pour la croissance de la productivité. Selon Aghion (2002), Schumpeter insiste sur le rôle de l’inégalité des salaires comme motivation pour l’auto-formation et l’accumulation de nouvelles compétences3 . Cela dit, le niveau des salaires doit être relié au niveau de l’éducation et de l’expérience appropriée par chaque travailleur. En faisant ceci, chaque travailleur (ou futur travailleur) est motivé à compléter son enseignement général et universitaire, ou opter pour une formation professionnelle et accumuler un maximum de compétences via des emplois de débutants. 

Le Modèle “AK”

Le modèle “AK” est la version la plus simple des modèles de croissance endogène. Dans cette version, la croissance est qualifiée d’endogène parce que son taux au long terme est influencé par des facteurs déterminés au sein du modèle, et non pas par du progrès technologique endogène, comme c’est le cas des modèles modernes. Neumann (1937) est supposé être le premier économiste à avoir proposé une fonction de production de type “AK”, mais sa célébrité est due à sa reprise par Rebello (1991). De façon générale, le modèle AK peut être considéré comme un cas particulier du modèle de base de Solow (mais sans progrès technologique), avec la particularité de : 4 (1.14) 1 Guellec D. & Ralle P “Les Nouvelles Théories de la Croissance” op.cit, p 90. 2 Aghion P., Akcigit U. & Howitt P, op.cit, p 532. 3 Aghion P “Schumpeterian Growth Theory and the Dynamics of Income Inequality” Econometrica, vol. 70, n° 3, 05.2002, pp 855-882. 4 Jones C.I, op.cit, p 148. Chapitre I. La Croissance Economique : de la Théorie à l’Application 45 est une constante positive (la production n’est pas exactement égale au stock du capital, mais plutôt proportionnelle). En concordance avec les modèles précédents, le capital est accumulé grâce à l’épargne des individus : (1.15) représente le taux d’investissement, et le taux de dépréciation du stock du capital. Le modèle n’assume aucune croissance démographique. Le diagramme de Solow est applicable au modèle AK, mais avec une différence majeure qu’on peut constater à travers le schéma 1.17. Schéma 1.17 : Le digramme de Solow pour le modèle AK Source : Jones C.I, op.cit, p 149. La courbe est une ligne droite (puisque est linéaire en ), alors la différence entre les deux courbes est toujours positive, ce qui signifie que la croissance du stock du capital est illimitée. On peut expliquer cet aspect par la fonction de production elle-même ; dans le modèle de Solow, indique que le capital est sujet aux rendements décroissants, alors que dans le modèle AK, les rendements d’échelle du capital sont constants (car ) donc la production marginale de chaque unité du capital ajoutée est toujours la même, . En divisant les deux cotés de l’équation d’accumulation du capital (1.15) par le stock du capital, on obtient :  Après quelques modifications mathématiques, la fonction de production révèle que le taux de croissance de la production est égal au taux de croissance du capital : Par conséquent, le taux de croissance dans cette économie est une fonction croissante du taux d’investissement. Le modèle AK génère la croissance endogènement ; on n’a nul besoin d’assumer que la population ou la technologie croissent à un taux exogène pour réaliser une croissance par habitant. En dépit de sa simplicité, le modèle AK présente quelques faiblesses : 1  Il suppose la linéarité de la fonction de production dans le stock du capital ;  Le modèle implicite que la part du revenu national investit dans le capital converge vers le 1 (si elle n’est pas déjà égale à 1 dès le début) ;  Les études ne cessent de démontrer le rôle majeur du progrès technologique dans la croissance, un modèle qui ignore cet aspect ne peut pas vraiment générer une croissance économique soutenue. Motivés par ces considérations, nous allons, par la suite, reprendre notre parcours pour l’introduction d’un progrès technologique endogène, cette tâche va être réalisée à travers l’étude du modèle de croissance de Romer. 

Le Modèle de Croissance par la Technologie (Romer 1986)

Le domaine de la croissance économique devait absolument s’extirper de la spirale du modèle néoclassique, dans lequel le taux de croissance sur le long terme est conduit par le taux de croissance exogène de la technologie. Donc, d’une façon ou d’une autre, les contributions récentes visent à déterminer le taux de croissance via des facteurs eux aussi déterminés au sein du modèle, d’où la nomination “Croissance Endogène”.2 La vague initiale des nouvelles recherches (Romer 1986 ; Lucas 1988 ; Rebelo 1991), basées sur les travaux de Arrow (1962), Sheshinski (1967) et Uzawa (1965), n’a pas vraiment introduit le progrès technologique dans les modèles de croissance comme facteur endogène, mais cette croissance peut être durable parce que l’investissement dans un bon nombre de biens capitaux ne subit pas une décroissance de ses rendements. Les externalités technologiques entre fabricants et les bénéfices issus du capital humain sont les moteurs de la stabilité des rendements. L’intégration des théories de Recherches et de Développement, et de la concurrence imparfaite aux modèles de croissance a été initiée par Romer (1987, 1990), et perfectionnée par Grossman et Helpman (1991), et puis Aghion et Howitt (1992). Dans ces modèles, le progrès technologique résulte d’une activité intentionnelle des R&D, et cette activité est récompensée par des avantages monopolistiques. La Théorie Néoclassique de Croissance désigne l’accumulation du capital physique comme source directe de la croissance ; les autres facteurs ne sont pas mis à l’écart, mais leurs effets sont implicitement inclus dans la variable exogène “Progrès Technologique”. Cependant, les modèles de croissance endogène retiennent beaucoup plus de sources : investissement en capital physique, capital public et humain, répartition du travail, R&D, etc. La plupart de ces sources ont déjà été citées par Adam Smith, mais n’ont été prise en considération qu’à l’arrivée des théories modernes1 . En 1986, Paul Romer a proposé un modèle qui offre un point de vue alternatif sur la croissance à long terme2 ; dans un climat de parfaite concurrence, la croissance économique n’est pas bornée, et probablement même en augmentation continue3 . En plus de l’intégration de la recherche des nouvelles idées, le modèle se base sur les externalités entre les entreprises : chaque investissement augmente la productivité de la société qui l’a réalisé, et celle d’autres aussi4 . Selon la théorie de Romer, l’augmentation du capital par travailleur ne baisse pas la productivité ; tant que les revenus sur les projets sont plus grands que la préférence du temps, les capitalistes continueront à investir, la croissance continuera à hausser les revenus, à engendrer plus d’innovations, plus de technologie, plus de croissance, et ainsi de suite5 . La fonction de production dans le modèle de Romer décrit comment le stock du capital, , et la force ouvrière, , sont combinés pour obtenir la production en utilisant le stock d’idées, : 6 (1.16) L’équation (1.16) exhibe des rendements d’échelle constants pour et ; en y introduisant en tant que facteur de production, les rendements deviennent alors croissants. Le capital est accumulé lorsque la population épargne une part, , des revenus, et se déprécie à un taux exogène , exactement comme dans le modèle de Solow : La force ouvrière, qui est en même temps la population entière, croît exponentiellement  .

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