L’agriculture pluviale et de berges

L’agriculture pluviale et de berges : une activité rythmée par les phénomènes hydroclimatiques

Déterminisme hydroclimatique

Il existe une dépendance forte entre la pratique de l’agriculture pluviale et les autres activités économiques dans le delta du Sénégal (Fig. 30). Cette relation est régie par le cycle temporel hydrologique et climatique. Dans ce cadre, un important vocabulaire, dans les langues locales, permet de distinguer les saisons climatiques et de nuancer les situations transitionnelles qui correspondent, à chaque fois, à une période de mobilité ou de préparation d’une activité ou un changement vers une autre activité (Fig. 30). Dans le Sahel, le rythme climatique est déterminé par la pluviosité (trois mois) et la crue. Ainsi distingue-t-on une saison sèche d’octobre à juin et une saison pluvieuse de juillet à septembre. Pour les agriculteurs, la saison sèche froide et le post-hivernage sont confondus (lolli). Cette saison correspond à la période de pratique de l’agriculture de berges. Les éleveurs peuls distinguent une période transitoire entre l’hivernage et la saison sèche froide (kawlé). Cette période correspond à une direction spécifique dans la transhumance du bétail. La saison sèche est, globalement, consacrée à l’agriculture sur berges. Le retrait des eaux du fleuve dépose des limons et des sédiments favorables au développement de certaines productions (maraîchage par exemple) au niveau des défluents du fleuve Sénégal isolés depuis la fin du XIXe siècle par les barrages de Bango et de Ronq. À l’inverse, la remontée de la langue salée durant la période de basses eaux empêche toute activité agricole sur le bras principal du fleuve, de Saint-Louis aux environs de Dagana (noor et cooroone). Si l’élevage transhumant est pratiqué toute l’année, la pêche est pratiquée en fin d’hivernage et en saison sèche froide (lolli), ; la période de saison sèche chaude coïncidant à un niveau bas des cours dans le delta du Sénégal (période de basses eaux). Traditionnellement, les ressources étaient perçues comme un don divin destiné aux travaux ménagers, à l’agriculture sur berges (takh = bas-fond), de décrue (mbrakh survenant après le mbund, crue) et pluviale (Fig. 30). En termes d’hydrologie, le vocabulaire wolof ne connaît que les phénomènes extrêmes (crue / décrue). La principale production alimentaire était le mil qui était la base de l’alimentation. La riziculture est une introduction récente dans le delta du Sénégal (début des années 1960). Le rythme hydroclimatique est donc le principal déterminant des activités économiques traditionnelles. Aussi, son caractère irrégulier, les crises récurrentes (sécheresse, sévérité de l’étiage) peuvent perturber les équilibres socio-économiques (migration) et environnementaux (potentiel pâturable). 

Les activités agricoles

Les activités agricoles se structurent autour : 1 – des cultures sur berge (takh) de mil (principalement) et de produits maraîchers (secondairement) ; 2 – de la culture submergée de riz (mbrakh) introduit depuis 1955. Elle se faisait avec la crue qui apporte et dépose des sédiments fertilisants les sols selon le calendrier suivant : – approche de la pluie (cooroone) : semis de riz (juillet) – début des pluies (nawet) : le riz pousse (juillet – août) – crue : alimentation de fin de cycle (septembre, octobre) puis récolte.Dans le delta, la période de décrue se situe entre novembre et février. Cette période correspond au début des cultures sur berges. Ainsi, une partie de la population wolof se déplace du Diéri vers le Waalo. En même temps, la mobilité pastorale est amorcée : celle des maures entre la rive gauche et la rive droite et des peuls entre le Diéri et le Waalo, entre la zone sylvopastorale et le Waalo (Fig.32.a). L’agriculture sur berges se faisait dès le retrait des eaux. Pour la gestion de l’eau, il n’existait pas une organisation sophistiquée. Les terres inondables étaient allouées à la caste des agriculteurs. La mise à disposition d’une portion de terre à un individu était fonction de son activité économique, donc de son appartenance à une caste. Dans une société castée et hiérarchisée, le groupe des agriculteurs est connu et reconnu bien avant le début des activités agricoles (Tableau 9). La période de basses eaux va de mars à mai. Le déplacement des populations wolofs du Diéri vers le Waalo est achevé. Les cultures de berges sont en phase de maturation ; la récolte intervenant vers le mois de mai (Fig. 32.b). Les champs récoltés serviront de pâturage aux bétails peuls. La remontée de la langue salée réduit considérablement les possibilités agricoles sur une partie importante du delta du Sénégal (bras principal du fleuve Sénégal, de Dagana à SaintLouis). Entre juin et août, la crue chasse les eaux marines vers l’estuaire. L’agriculture pluviale est alors pratiquée sur le Diéri avec le déplacement d’une partie de la population wolof pour les travaux de préparation du sol et de sarclage (Fig. 32.c). L’expansion des eaux douces débute à  partir de juin-juillet sur le Waalo (Fig. 32.c). La crue arrive dans le delta vers juillet. Les sols du Diéri sont préparés et sarclés, dans l’attente des premières pluies. Les champs sous cultures de berge, en jachère, servent de pâturages aux bétails. Les troupeaux peuls se déplacent entre le Diéri et le Ferlo. En situation de hautes eaux (crue de septembre à octobre), le Diéri est le principal espace économique du delta du Sénégal (Fig. 32.d). Les activités agricoles y sont concentrées. Sur le Waalo, les champs de berges sont submergés par les eaux de crue. De ce fait, une partie de la population wolof se déplace vers le Diéri et y pratique la culture sous pluie. La principale activité sur le Waalo est la pêche continentale alors que sur le Diéri se pratiquent les cultures pluviales. La culture pluviale est aussi pratiquée par les groupes ethniques peuls. Dans son rapport de voyage, Anne RAFFENEL (1846) observait que les villages du delta vivaient essentiellement du commerce des produits de pêche (poissons frais et secs), de la confection artisanale des nattes tissées par les femmes et vendues aux traitants et de la production du mil, dès le retrait des eaux. Ces activités sont donc anciennes et contraintes par certains aléas climatiques (faible pluviosité, pluviosité tardive, sécheresse, inondation du delta) et hydrologiques (remontée de la langue salée en saison sèche, entre mars et juin, faible crue, crue tardive). 

Structures anthropologiques et droits fonciers

L’accès à la terre est largement corrélé aux structures sociales très hiérarchisées à l’intérieur des groupes ethniques peuplant le delta du Sénégal (Tableau 9). Cette structure spatiale hiérarchique donne une clé de lecture des structures spatiales et foncières. Au niveau le plus élevé se trouve la caste des Nobles et des Marabouts. Dans les royaumes Wolofs (Waalo) et Toucouleurs (Fouta Toro), les rois étaient recrutés à l’intérieur de cette caste. Entre ce niveau et celui, plus bas, des captifs (de guerre) et serviteurs (de la couronne), on retrouve les castes liées à la profession (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, etc.). Ces derniers produisaient pour les Nobles et Marabouts ainsi que pour les Guerriers chargés de la protection du royaume. 

Cours gratuitTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *