L’apport cognitif des graphique

L’apport cognitif des graphique

Langage graphique et langage verbal

La représentation graphique peut être entendue comme une représentation de concepts et de liens entre ces concepts dans un espace plan, sans contrainte littéraire entre ceux-ci, telle qu’une disposition sous forme de phrases et donc un respect de règles de syntaxe. En adoptant cette conception, nous nous affranchissons des règles séquentielles de la langue et nous faisons ainsi cohabiter des éléments aux significations différentes. La représentation graphique permet de se libérer des règles du discours. Goody (1977 ; 1994 [1993]) a analysé plusieurs formes de représentations – listes, tableaux et formules – pour présenter les possibilités d’un langage écrit même rudimentaire – c’est-àdire non organisé selon des règles de syntaxe – par rapport au discours oral. Il prend l’exemple des premières formes d’écriture qui se présentent essentiellement sous forme de listes, ainsi que celui des tableaux représentant des résultats d’anthropologues. En inscrivant des termes dans une liste ou un tableau, nous établissons de nouvelles relations entre les termes. En prenant l’exemple du tableau établi par Durkheim à propos de la symbolique sous-jacente au système culturel de la société Zuni, Goody (1977) met en évidence le niveau d’abstraction nouveau qui est établi, d’une part en inscrivant des éléments dans une même colonne et en les concevant comme similaires et d’autre part en « Au XVIIème siècle parut l’expression graphique des idées créée par le génie de Descartes. Bientôt, cette méthode servit à représenter des variations diverses, à faciliter la comparaison de certains phénomènes d’économie politique et sociale (…) la physique et la chimie recoururent à ce mode de représentation.
Depuis lors, la méthode graphique est définitivement formée. Aujourd’hui, elle tend à élargir son domaine et à s’appliquer à toutes sortes d’objets, portant partout avec elle l’exactitude, la concision et la clarté » (Marey, 1885, p. iv).en consignant d’autres dans une autre colonne et en les considérant comme opposés aux précédents. Goody (1977) montre que la relation entre ces termes est différente de celle établie au sein d’une phrase, à savoir que les concepts sont décontextualisés et se trouvent dans une relation moins précise. En effet, toutes les relations au sein d’une colonne sont censées être de même nature, alors que l’utilisation d’un terme pour définir la relation entre deux concepts aurait pu permettre de spécifier que tous les éléments d’une même colonne ne sont pas dans une même relation de « similarité ».
Il est possible de supprimer les contraintes séquentielles qui sont liées à la linéarité de la forme verbale. En effet, une expérimentation de Cohen (1973) a montré qu’il était possible d’analyser d’une à trois ou quatre composante(s) d’une image sans que cela ne fasse varier la durée de traitement de l’information. Dans le cas où les mêmes informations se présentent sous forme verbale, la durée de traitement de l’information est une fonction linéaire positive par rapport au montant d’information. Ceci suggère que les représentations verbales suggèrent un traitement séquentiel de l’information, tandis que des représentations graphiques permettent un traitement parallèle de cette dernière. Les mêmes conclusions sont émises par Sadoski, Paivio et Goetz (1991). Ceci les amène par ailleurs à considérer la complémentarité entre ces deux formes d’information :
« Information in the verbal system is organized in a way that favors sequential, syntactic processing, whereas nonverbal information (especially in the visual modality) is organized more in the form of holistic nested sets with information available for processing in a synchronous or parallel manner. Interconnections between the systems allow for great variety in cognitive activity » (Sadoski et al., 1991, p. 473). Ce traitement distinct de l’information provient d’une utilisation différente de l’espace. Le graphique permet en effet un traitement différent de l’espace et du temps par rapport au langage verbal. Un cas extrême concerne le traitement simultané des différentes dimensions liées au temps et à l’espace. Ainsi, ce dessin de Minard (voir carte n° 1) illustre le chemin parcouru par les troupes françaises depuis le fleuve Niémen en Biélorussie jusqu’à Moscou, ainsi que le chemin retour. On y voit également les quantités d’hommes en vie ainsi que la température et la chronologie du trajet retour. En outre, chaque donnée du plan est multidimensionnelle. Lui sont affectés la taille de l’armée, une localisation géographique selon les deux dimensions, la direction de l’armée et enfin la température à différentes dates, reportée dans une troisième courbe. Tufte (1983) parle à propos de ce type de représentation de graphique narratif. On y retrouve « une riche, cohérente histoire avec (la) donnée multivariée, beaucoup plus éclairante que juste un simple chiffre sur une échelle temporelle » (Tufte, 1983, p. 40). Tufte considère d’ailleurs que ce graphique « est peut-être le meilleur graphique statistique jamais dessiné » (Tufte, 1983, p. 40). L’explication d’un tel engouement provient d’une conception de l’« excellence graphique », comme la capacité à « donner à l’observateur le plus grand nombre d’idées dans un temps le plus réduit possible avec la plus faible quantité d’encre dans l’espace le plus petit » (Tufte, 1983, p. 51). Autrement dit, « l’excellence graphique consiste à exprimer des idées complexes avec clarté, précision et efficience » (Tufte, 1983, p. 51). Nous constatons ainsi que le langage graphique a d’autres contraintes que celles imposées par le langage verbal et qu’il s’avère être une ressource soit substituable soit complémentaire par rapport à ce dernier. Un autre graphique présent dans l’ouvrage de Tufte, The visual display of quantitative information (1983) et montrant le cycle de vie du scarabée japonais utilise les deux axes pour montrer des données spatiales, l’emplacement du scarabée par rapport au niveau du sol ainsi que des données temporelles – à savoir les mois de l’année. Ainsi, ces deux dimensions peuvent être prises en compte de manière simultanée, ce qui n’aurait pas été possible avec le langage écrit.

Les multiples fonctions du graphique

Les graphiques peuvent avoir des fonctions multiples. En architecture, le graphique joue un rôle crucial (Boudon, 1974 ; Tabouret, 1975) à savoir un rôle d’heuristique, en considérant les deux sens que lui donne Tabouret (1975), à savoir : « – l’heuristique au sens strict de « procédure de sélection conduisant à la découverte de faits »,
– l’heuristique au sens large de « conditions de travail qui favorisent l’émergence d’un produit » » (Tabouret, 1975, p. 29) . Tabouret (1975) affirme ainsi que le graphique peut servir d’heuristique de douze manières différentes. Liste n° 2 : les douze fonctions heuristiques pour les graphiques en architecture Tabouret, 1975) H1 comparer des objets différents avec un point de vue commun ; H2 décrire des phénomènes dont des modèles externes (a priori) proposent le modèle de réduction ;
H3 effectuer des montages avec des objets-figurés qui renvoient à leur structure d’origine ;H4 intégrer des travaux divers en une pratique unique ;H5 permettre de saisir un ensemble de valeurs dans leurs interactions spatiales ou temporelles, dans cet ensemble, repérer les facteurs, les points, les moments qui « font la décision », donc permettre de localiser la réflexion et constituer des moments au sein d’un processus continu de conception : proposition – évaluation – transformation, choisir des points de vue et des critères de décision différents suivant les parties d’ouvrage ; H6 passer d’une saisie synchronique à une imagination diachronique ; H7 constituer un modèle réduit, rendant la vision globale plus libre dans la mesure où la réduction est affichée ; H8 faire apparaître des hypothèses réductrices et des hypothèses structurantes, permettre la remise en question, à tout moment du processus ; H9 permettre de dégager des facteurs de généralisation ; H10 avoir, d’une forme établie pour transcrire un des aspects d’une situation, une autre lecture renvoyant à un autre modèle ;H11 constituer des cartes d’informations qui visualisent leurs variations, variations spatiales dans une synchronie ou temporelles sur un groupe de points, opérer des produits de variations temporelles et de variations spatiales faisant fonction de modèle analogique ; H12 être le lieu de la première proposition.Dans le cadre de notre analyse des graphiques, nous retiendrons un nombre plus restreint de fonctions qui seront liées à la présence d’un graphique dans un article publié et non à sa présence au sein d’une activité en train de se dérouler. Dès lors, il est impossible de déterminer certains rôles qu’aurait pu jouer le graphique dans la création d’une théorie élaborée par l’auteur dudit article. En partant du processus de traitement de l’information, nous pouvons considérer que le graphique sert de moyen de mémorisation, de compréhension et de communication (Bertin, 1973 [1967]). Ces différents rôles ne sont généralement pas compatibles au sein d’un même graphique (Bertin, 1973 [1967]). En effet, si celui-ci sert à stocker des informations générales pour combler les lacunes de la mémoire individuelle, comme un plan de métro selon Bertin, il ne constitue pas le mode le plus commode pour décider en fonction d’une tâche particulière, comme un trajet spécifique. La complétude de notre carte de métro devient un facteur limitant dans le rôle de facilitation de la prise de décision. Il aurait été souhaitable de n’avoir que les lignes les plus directes entre les deux points définissant le départ et l’arrivée. Pour calculer le temps mis, de la même manière, il ne faudrait indiquer que les stations par lesquelles nous passons afin de pouvoir plus aisément se faire une idée du temps que nous allons mettre. De manière générale, un graphique ne peut pas être dédié à plusieurs tâches différentes. Il existera toujours un graphique plus adapté si le graphique a été conçu pour une autre tâche que celle effective. Cette idée est notamment défendue par Kosslyn : « It is common to see display types divided into two general classes, those used for communication and those used for analysis; either type of display can also be used to store information. Depending on the intended use of the display, one would take care to make a pretty display or a crude one, would place a premium on ease of immediate comprehension or on completeness, and so on » (Kosslyn, 1985, p. 509).
Les fonctions qui seront retenues dans le cadre de notre analyse sont celles relatives
à la présence d’un graphique se trouvant à côté d’un texte. En effet, nous exclurons par exemple une fonction de signalisation du graphique, comme cela a été mis en évidence par Denis (1989) et qui vise à une action à court terme sur la base d’informations ponctuelles. Dans le cadre de cette fonction, nous pouvons inscrire les représentations de la signalisation routière ou encore les pictogrammes présents dans un aéroport.Nous retiendrons cinq fonctions en faisant référence d’une part aux quatre fonctions de Macdonald-Ross (1977) relatives aux graphiques scientifiques ou techniques présents sur un support physique avec du texte et d’autre part aux sept fonctions de Denis (1989) concernant une utilisation des graphiques suivant une problématique liée au temps. Les objectifs des graphiques scientifiques et techniques sont au nombre de quatre, qui ne sont
pas exclusifs les uns par rapport aux autres, selon Macdonald-Ross (1977, p. 70) : « Iconic purpose. Here the purpose is to show what an object looks like, and to identify and label key parts. Data display purpose. Here the purpose is to display the results of empirical observations. Explanatory purpose. Here the purpose is to show the logical relationships between key ideas.
Operational purpose. Here the purpose is to help the reader to perform some wellspecified task. »
Denis (1989) attribue sept fonctions au graphique selon la relation au temps qui est montrée. Il existe deux fonctions relatives au passé : celle de conservation d’une information appelée à se dégrader et celle liée à l’évocation d’une représentation emblématique ou métaphorique. Relativement au présent, l’auteur distingue quatre fonctions : deux fonctions de clarification – explicitation d’informations concrètes mais non directement accessibles et explicitation d’informations abstraites ou fonction heuristique du graphique –, une fonction de classement – représentation visuelle d’un corpus – et enfin une fonction de guidage – signalisation, associée à la communication d’une information ponctuelle à but directement utilitaire. Il existe une relation associée au long terme, à savoir le guidage à long terme, l’orientation, le pilotage, la planification d’un ensemble d’actions.

Cours gratuitTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *