Les technologies d’aide à l’écriture: retombées présumées et constatées

Écrire: un processus cognitif complexe

La complexité de l’ écriture est justifiée par les nombreux processus couvrant les plans perceptif, cognitif, linguistique et moteur qu’ elle met en jeu (Brun-Hénin, Velay, Beecham et Cariou, 2012). Pour Deschênes (1988), l’ écriture peut être définie comme une «activité cognitivo-motrice relativement complexe dont le but est l’énoncé d’un message avec une intention précise, à l’aide d’une forme particulière du langage » (p. 77). En effet, selon Fayol (1996, 1997), l’ écriture est caractérisée par quatre dimensions fondamentales : une situation d’ énonciation où le scripteur, seul devant son texte, n’a jamais en face de lui un partenaire susceptible de lui donner un retour immédiat sur la pertinence, l’ intérêt et l’adaptation linguistique de son message; un rythme de production beaucoup plus lent qui entraine, chez les jeunes scripteurs, une surcharge cognitive liée à l’exercice de la graphie encore peu contrôlée ainsi que le risque potentiel de perdre en mémoire les idées retrouvées; la possibilité pour le scripteur de produire au rythme qui lui convient parce qu’ il dispose d’une trace de ce qu’ il a déjà produit, lui permettant de revenir en arrière, de relire ou de refaire le point autant de fois qu’ il le désire; le respect d’une norme qui exige un niveau de formalisme particulier, qui concerne une orthographe, une syntaxe et un lexique spécifiques à la forme écrite. À cela s’ajoute l’important travail de coordination oculomanuelle, de graphomotricité et de posture, essentiel à la qualité graphique de l’ écriture (Simard et al. , 2010).

Ainsi, l’apprentissage d’une activité telle que l’ écriture représente un travail cognitif important pour celui qui désire déployer le plein potentiel de sa compétence. Au moment de rendre compte du caractère complexe de l’ écriture, nous ne pouvons faire abstraction de la charge cognitive associée à la production de texte et des multiples opérations qu’ elle sous-tend. S’apparentant à une résolution de problème complexe comprenant plusieurs phases récursives (Hayes et Flower, 1980; Lefrançois, 2000), la production de texte ainsi que les opérations cognitives qu’ elle oblige sont comparée par certains chercheurs à des chaines d’actions et de réactions (Chanquoy et Alam~got, 2003; Grégoire, 2012; Plane 1996, 2006). À chaque nouveau problème qu’ il rencontre en cours de rédaction, le scripteur exécute une série d’opérations mentales provoquant ainsi d’autres questionnements, puis d’autres ajustements. Cette situation se traduit par une suite de prises de décisions, ordonnées entre elles, interdépendantes et itératives, qui sont compréhensibles, mais impossibles à prédire en raison de la complexité des éléments qui les ont décidées (Plane, 1996, 2006). Selon les auteurs concernés, c’est ce traitement continu de l’information qui assure la progression de la tâche.

Les troubles d’apprentissage et l’apprentissage de l’écriture

La complexité de l’apprentissage et de la pratique d’une activité telle que l’écriture a été maintes fois démontrée par la recherche en didactique de l’ écriture. Ce sont notamment les multiples exigences simultanées qu’elle sollicite chez les scripteurs qui lui ont conféré ce statut (Bereiter et Scardamalia, 1987; Hayes, 1996,2006; Hayes et Flower, 1980). Dans les circonstances, force est d’admettre que tous les élèves ne sont pas outillés de la même façon et que certains d’entre eux éprouvent de grandes difficultés face à l’apprentissage d’une telle activité (Rey et Sabater, 2008). Pour les élèves ayant un trouble d’apprentissage, les obstacles rencontrés sur le parcours menant au développement de leur compétence en écriture ne sont que multipliés. Les troubles d’ apprentissage se caractérisent par des difficultés persistantes à apprendre et par des retards au nIveau du développement des apprentissages, notamment en langue maternelle (CSÉ, 1996), mais surtout, ils ont un caractère durable (Bourdin, Cogis et Foutin, 2010; Pannetier, 2010). De façon générale, les troubles d’ apprentissage ont des répercussions négatives sur la réussite scolaire des élèves qui en souffrent: rendement en deçà de ce que l’on attend d’eux, difficultés diverses pouvant se manifester de différentes façons avec différentes personnes, diminution de la motivation, et même échecs scolaires répétés (Association canadienne des troubles d’apprentissage, 2002; Rodrigue, 2006; Rousseau 2016). Plus précisément, les troubles d’ apprentissage sont souvent vus comme pouvant être la conséquence du dysfonctionnement d’un ou de plusieurs processus cognitifs affectant, entre autres, l’ acquisition, l’ organisation, la rétention, la compréhension ainsi que le traitement de l’information verbale ou non verbale nécessaire à l’apprentissage (Daspet, 2016; Pannetier, 2010).

Parmi ces processus sont inclus des éléments tels que le traitement phonologique et visuospatial, le langage, la vitesse de traitement de l’information, la mémoire, l’attention ainsi que certaines fonctions d’exécution comme la planification et la prise de décisions (Pannetier, 2010; Rousseau, 2010, 2016). Or, plusieurs de ces processus sont directement ou indirectement reliés à l’ activité de production de texte et au processus d’ écriture. Qui plus est, certains élèves souffrent de troubles d’apprentissage spécifiques de la lecture et de l’ orthographe, dont la dyslexie-dysorthographie développementale, qui comptent parmi les facteurs les plus importants concourant à une plus faible compétence en écriture (Stanké, 2016).

La dyslexie-dysorthographie et l’apprentissage de l’écriture

Dans le domaine des troubles d’apprentissage spécifiques de la lecture et de l’orthographe, le terme dyslexie est uniquement utilisé, par une grande majorité d’ auteurs, pour désigner les jeunes qui ont des difficultés à la fois en lecture et en orthographe. Le terme dysorthographie est alors réservé par ces mêmes auteurs pour décrire les jeunes qui ont des troubles en orthographe, sans atteintes marquées en lecture (Lefebvre et Stanké, 2016). Cependant, à de nombreuses occasions, des chercheurs se sont vus dans l’obligation d’ associer la dyslexie et la dysorthographie, car la très grande majorité, sinon la totalité des individus dyslexiques ont aussi des troubles marqués en orthographe (Lefebvre et Stanké, 2016). Ce constat explique pourquoi l’Organisation mondiale de la Santé (2007) inclut dans sa définition de la dyslexie les difficultés qu’ elle entraine sur le plan de l’ orthographe. Si une dyslexie est toujours associée à une dysorthographie (dyslexie-dysorthographie), il est possible de trouver chez un individu une dysorthographie isolée (Rey et Sabater, 2008). Bien qu’ il existe plusieurs fonnes de dyslexie-dysorthographie, la fonne développementale reste la plus répandue (Stanké, 2016). Le tenne développemental renvoie à une dyslexie-dysorthographie présente dès la naissance et dont les difficultés associées sont devenues apparentes de façon progressive au cours de l’ apprentissage de l’ écrit, sans être explicables par d’ autres syndromes, maladies, lésions au cerveau ou évènements externes (Lefebvre et Stanké, 2016; Pannetier, 2010).

La dyslexie-dysorthographie n’ affecte pas tous les processus cognitifs sollicités en lecture et en écriture. En effet, elle serait caractérisée par une atteinte plus spécifique des habiletés de base responsables de la reconnaissance des mots et de l’orthographe (Lefebvre et Stanké, 2016; Ruberto, 2012). Toutefois, parce que ces habiletés de base consomment, chez les élèves dyslexiques-dysorthographiques, une grande part de leurs ressources cognitives telles que définies selon la théorie capacitaire (Chanquoy et al. , 2007), il en reste rarement assez pour répondre à des habiletés de plus haut niveau comme l’ organisation d’un paragraphe (Lefebvre, 2016). Reuter (1993) rappelle d’ ailleurs l’importance des relations entre écriture et lecture; elles sont intimement liées en cours d’apprentissage (Daspet, 2016; Pannetier, 2010). Les deux activités font appel à des processus cognitifs communs : activation de connaissances, construction de sens, mémorisation, production et rédaction (Deschênes, 1988).

En conséquence, si les processus impliqués dans la construction du langage écrit sont altérés, l’ association des deux troubles, chez les dyslexiquesdysorthographiques, nuit à l’ apprentissage du langage écrit sur deux fronts: la lecture et l’ écriture (Daspet, 2016). Par ailleurs, l’ association entre lecture et écriture dans la mobilisation du processus d’ écriture et, plus particulièrement, dans les processus de mise en texte et de révision a été maintes fois démontrée. En effet, Grégoire (2012) rappelle que les élèves, au cours de la mise en texte, relisent souvent leur texte, sollicitant sans cesse leurs habiletés en lecture. Si les élèves éprouvent des difficultés en lecture, cela nuit donc forcément au processus de mise en texte. Le processus de révision n’est pas en reste, Deschênes (1988) affirme que ce dernier s’effectue principalement à travers une relecture locale ou globale pour relever les erreurs de sens ou de fonne. À l’ instar du chercheur, Morin et al. (2009) proposent, dans une synthèse de connaissances sur l’enseignement de l’ écriture à l’école primaire, une définition du processus de révision qui insiste, encore une fois, sur l’importance de la lecture : « la révision [ … ] est assumée par deux sous-processus, respectivement la lecture – donnant lieu au repérage des erreurs et à l’évaluation de la convenance du texte, selon les buts de celui-ci – et la correction des problèmes repérés, par l’application d’un système complexe de règles de production. » (p.6).

Si certaines étapes du processus d’ écriture se trouvent, au passage, affectées par la dyslexiedysorthographie (Rodrigue, 2006), il faut s’attendre à ce que cela se répercute aussi sur la qualité des textes produits par les élèves. Ainsi, une déficience dans l ‘habileté à reconnaitre des mots se répercute inévitablement sur les écrits des élèves dyslexiques-dysorthographiques puisqu’ ils dépensent une trop grande quantité de ressources cognitives sur la lecture et la relecture de leur texte plutôt que sur d’ autres processus cognitifs plus complexes comme la planification, la mise en texte et la révision. Si ces derniers sont aux prises avec des difficultés marquées en orthographe lexicale ou grammaticale, il ne fait pas de doute que la qualité des textes rédigés par ces élèves est affectée dans son ensemble, considérant la théorie capacitaire (Lefebvre, 2016). Compte tenu de la situation, des solutions potentielles ont été proposées par le MÉQ (1999). Parmi les options envisagées, l’ introduction des technologies de l’information et de la communication semble être porteuse de grandes promesses pour les élèves dont le développement de la compétence en écriture est compromis par la présence d’un trouble spécifique d’ apprentissage.

Table des matières

REMERCIEMENTS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET DES ACRONYMES
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE
1.1 Écrire : un apprentissage au coeur de la réussite scolaire
1.2 Écrire : un processus cognitif complexe
1.3 Les troubles d’apprentissage et l’apprentissage de l’ écriture
1.3.1 La dyslexie-dysorthographie et l’ apprentissage de l’ écriture
1.4 Les technologies d’aide: des outils prometteurs
1.4.1 Les technologies d’aide à l’ écriture
1.5 La question de recherche
CHAPITRE II CADRE DE RÉFÉRENCE
2.1 Le processus d’ écriture
2.1.1 Le modèle de Hayes et Flower (1980) et sa relecture par Hayes (1996)
2.1.2 Le modèle développemental de Bereiter et Scardamalia (1987)
2.1.3 Le modèle développemental de Berninger et Swanson (1994)
2.1.4 Le modèle de Fortier (1995)
2.1.5 Théorie capacitaire et difficultés liées à la gestion du processus d’ écriture
2.1 .5.1 Les difficultés liées à la planification
2.1.5.2 Les difficultés liées à la mise en texte
2.1.5.3 Les difficultés liées à la révision
2.2 Les technologies d’aide comme moyen d’adaptation
2.2.1 Les fonctions d’aide à l’écriture
2.2.1.1 Le traitement de texte
2.2.1.2 Le réviseur orthographique et le réviseur rédactionnel
2.2.1.3 Le prédicteur de mots et la synthèse vocale
2.2.2 Les technologies d’aide à l’écriture: retombées présumées et constatées
2.2.2.1 Les retombées du traitement de texte
2.2.2.2 Les retombées des réviseurs orthographiques et rédactionnels
2.2.2.3 Les retombées du prédicteur de mots et de la synthèse vocale
2.2.3 Les retombées sur le processus d’écriture
2.3 L’ objectif de recherche
CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE
3.1 Contexte de la recherche
3.2 Devis et type de recherche
3.3 La population visée
3.4 La source principale de données
3.4.1 L’enregistrement par captation d’écran vidéo
3.5 Le déroulement et la collecte de données
3.6 Les orientations relatives au traitement et à l’analyse des données
3.7 Les considérations éthiques
CHAPITRE IV RÉSULTATS
4.1 Décrire les retombées des technologies d’aide sur le processus d’ écriture
4.1.1 Portrait du participant 1
4.1.1.l Les retombées des Td’ A sur le processus d’ écriture (temps 1)
4 .1.l.2 Les retombées des T d’A sur le processus d’ écriture (temps 3)
4.1.2 Portrait du participant 2
4.l.2.l Les retombées des Td’A sur le processus d’écriture (temps 1)
4.l.2.2 Les retombées des Td’A sur le processus d’écriture (temps 3)
4.1.3 Portrait du participant 3
4.l.3.l Les retombées des Td’A sur le processus d’écriture (temps 1)
4.l. 3.2 Les retombées des T d’A sur le processus d’ écriture (temps 3)
4.1.4 Portrait du participant 4
4.l. 4.1 Les retombées des T d’A sur le processus d’ écriture (temps 1)
4.l.4.2 Les retombées des Td’ A sur le processus d’ écriture (temps 3)
4.1.5 Portrait du participant 5
4.l.5.1 Les retombées des Td’A sur le processus d’écriture (temps 1)
4.l. 5.2 Les retombées des T d’A sur le processus d’ écriture (temps 3)
4.1.6 Portrait du participant 6
4.l. 6.1 Les retombées des T d’A sur le processus d’ écriture (temps 1)
4.1.6.2 Les retombées des Td’A sur le processus d’ écriture (temps 3)
4.2 Synthèse des retombées des technologies d’aide sur le processus d’ écriture
CHAPITRE V DISCUSSION
5.1 Discussion des résultats
5.1.1 Les retombées sur le processus de mise en texte
5.1.2 Les retombées sur le processus de révision
5.2 Les recommandations
5.3 Les limites de la recherche
CONCLUSION
RÉFÉRENCES
ANNEXE A
ANNEXE B
ANNEXE C
ANNEXE D

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *