Trajectoires de vie et Musiques d’Inspiration Andine

Trajectoires de vie et Musiques d’Inspiration Andine

Choix méthodologiques : MIA et approche qualitative

Avant d’expliquer le choix des démarches méthodologiques qui président notre enquête, il est nécessaire de rappeler succinctement nos principales problématiques ainsi que l’hypothèse centrale proposées dans la première partie de notre étude. D’un point de vue général, nous nous intéressons à la diffusion et au succès qu’ont connu en France, pendant la période 1950-1973, les Musiques d’Inspiration Andine (MIA), musiques qui ont été chargées d’un sens spécifique en France, d’autant plus qu’elles ont constitué un objet aux propriétés musicales exclusives. D’un point de vue sociologique, nous considérons ces musiques comme une manifestation produite dans et par la société française de l’époque, et pas forcément comme un phénomène musical « étranger », au sens strict du terme, même si elles font clairement allusion à un univers musical et culturel « autre ». C’est pour cela aussi que nous préférons parler de musiques d‘inspiration andine en France et non de musiques « des Andes» : en utilisant cette dénomination, nous cherchons donc à les mettre en rapport avec une problématique plus large associée aux représentations sociales de l’altérité et à leur fonction dans les sociétés globales occidentales contemporaines. Nous avons ensuite avancé l’hypothèse que l’attraction exercée par ces musiques s’explique par les particularités qui font d’elles l’incarnation d’une altérité proche ou non-radicale, s’associant ainsi à un horizon symbolique propre à faciliter l’extériorisation des besoins d’« exotisme » de ceux qu’elles ont séduits. Que ce soit en suggérant une alternative aux modes de vie des sociétés globales occidentales, ou en proposant un horizon symbolique de « rêve » dont l’étrangeté demeurait toujours intelligible, l’écoute de ces musiques aurait pu favoriser, voire déclencher, l’expérience de l’altérité chez les individus concernés par son écoute. Nous avons dit dans ce sens que le goût pour les MIA en France et la forte notoriété qu’elles ont commencé à connaître à partir des années 1960 se seraient articulés fondamentalement en fonction de deux éléments. D’une part, ces musiques se 286 présentaient libres des collusions culturelles et politiques liées, dans l’histoire récente, au passé colonial français. C’est-à-dire, à la différence du monde arabe et africain, par exemple, ces musiques n’ont pas été précédées d’une histoire sociopolitique marquée par le conflit direct avec la France. Nous avons d’ailleurs remarqué que l’univers andin, surtout quand il s’agit du passé incaïque, s’est toujours présenté dans l’imaginaire français comme une altérité proche et lointaine à la fois : que ce soit en tant que « civilisation » au passé glorieux et au destin tragique ou en tant qu’exemple d’une spiritualité dont les populations « andines » d’aujourd’hui seraient les héritières, l’univers andin a été traité comme une altérité accessible, compréhensible dans sa différence. D’autre part, nous avons dit que d’un point de vue musical les MIA illustrent de fait cette dualité. En faisant appel à des instruments, des rythmes et à un répertoire ad hoc, mais en les adaptant à un usage mélodique (c’est le cas, par exemple, des sikus ou du charango) ou en ayant la précaution de les jouer « juste » – c’est-à-dire, bien tempérées pour des oreilles occidentales – ces musiques ont pu être facilement acceptées en France, au même temps qu’elles satisfaisaient un certain besoin d’altérité des auditeurs concernés.

Les spécificités d’une observation décalée

Nous commencerons ce chapitre en revenant brièvement sur les concepts d’utilisation et de fonction sociale de la musique, afin de préciser comment ces deux concepts nous ont dicté la perspective méthodologique générale de notre enquête. Nous avons souligné dans la première partie de notre étude que, pour aborder le phénomène musical d’un point de vue sociologique, il est pertinent d’établir une différence entre les usages « directement observables » de la musique et « les buts ou les raisons d’une telle utilisation, la signification sociale qu’une musique peut revêtir »1. Nous avons spécifié également que cette signification, qui dépasse le cadre social immédiat dans lequel une musique est produite, déborde également l’espace temporel dans lequel une musique est née ou utilisée socialement, car les objets musicaux résonnent aussi avec des représentations sociales déjà existantes. Ils sont parasités et façonnés, pour ainsi dire, par les représentations sociales construites autour des univers symboliques plus vastes qui les englobent, dépassant ainsi le cadre strictement sonore. Nous pensons, à ce sujet, que rares sont les musiques qui peuvent être considérées comme entièrement nouvelles, car, en définitive, toute nouveauté est rapidement associée à des antécédents ou à des origines réels ou imaginaires2. Une première considération d’ordre général est donc de rappeler que, en privilégiant dans notre enquête la compréhension du sens social lié au goût des MIA en France, nous nous occupons des fonctions sociales qu’elles ont pu revêtir sous la forme de conduites individuelles et collectives organisées autour de ce phénomène musical. Cela nous invite concrètement à nous intéresser à l’utilisation immédiate et plus aisément saisissable de ces musiques, mais en ayant toujours à l’espoir que cet intérêt, d’ailleurs incontournable, doit rester subordonné à la recherche d’un sens social « profond » – en tout cas moins immédiat et plus difficile à vérifier d’un point de vue matériel que l’utilisation elle-même. 

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