Position du problème dans la littérature et cadre théorique

Position du problème dans la littérature et cadre théorique

Le problème de la valeur dans la littérature sur le conseil : une tension marquée

Nous ouvrons cette revue de littérature par des propos généraux sur la prestation de conseil en management. Ils nous permettent de comprendre en quoi la problématique de la valeur, comprise ici dans son acception large d’utilité, d’efficacité, de justification, de sens, etc. est exacerbée lorsque l’on touche à la pratique des consultants, notamment par opposition à celle d’autres professions libérales comme celles de médecin ou d’avocat. Cet état de fait tient à la (1) nature de la prestation de service, (2) au contenu de la discipline managériale et (3) à la structure du marché. Cette discussion liminaire est particulièrement importante, car elle explique pourquoi la question de la valeur est pertinente pour comprendre la pratique des consultants en management, et évite la dissolution d’un concept un peu fourre-tout. Nous avons vu, en introduction, qu’il s’agit d’une préoccupation pratique des acteurs ; nous allons maintenant mieux comprendre pourquoi et dans quelle mesure la question de la valeur est un point d’achoppement de la littérature sur le conseil en management. Position du problème dans la littérature et cadre théorique 

Une prestation de conseil en management ductile et silencieuse

Kubr (2002) donne la définition suivante du conseil en management dans son célèbre manuel : Management consulting is an independent professional advisory service assisting managers and organizations to achieve organizational purposes and objectives by solving management and business problems, identifying and seizing new opportunities, enhancing learning and implementing changes (Kubr 2002, p.10) Cette définition est utile car elle crée une catégorie professionnelle dans laquelle chaque consultant peut trouver sa place. La méthode est simple : il s’agit de s’en tenir à une sorte de formalisme, qui fait du conseil une relation professionnelle entre un client et un consultant, au sein de laquelle s’articulent rôles, ressources, problèmes et solutions, dans le but d’atteindre des objectifs particuliers. Tout est dit en quelques mots mais l’on ne sait rien des métiers du conseil, des caractéristiques de la pratique, de ses effets concrets, des interactions qui existent entre consultants et système-client. Quand l’activité est insaisissable et que les concepts sont problématiques, il semble que seul le jeu de formes permette d’esquisser une définition. Cette définition est d’ailleurs le corollaire des caractéristiques de la prestation de conseil en management que Clark (1995) définit comme étant l’intangibilité, l’interaction, l’hétérogénéité et la périssabilité. Pour l’auteur, la nature même du service « implique que la qualité de la prestation de conseil est difficile à établir avant l’acte d’achat et difficile à évaluer une fois la prestation délivrée » (Ibid., p.41, notre traduction). La figure 1.1 présente une synthèse de son analyse18. Nous allons prendre la peine, dans les pages qui suivent, d’en discuter chacun des aspects car on ne peut comprendre la prestation de conseil, et a fortiori ses enjeux de mise en valeur, sans ce travail préliminaire. 

Le management « bricolé »

La définition formaliste de la prestation de conseil en management présentée supra pourrait nous contenter, comme c’est le cas pour d’autres professions intellectuelles, si elle faisait 54 porter la charge de l’explication à un savoir clairement identifié. Or, il n’existe pas, à notre connaissance, de contenu disciplinaire si peu codifié que celui du management. Dans cette section, nous allons voir en quoi le contenu de la discipline managériale contribue à exacerber la problématique de la valeur du conseil en management. Déry (1997, p.7) constate, à juste titre, que le management est un « territoire totalement éclaté, fragmenté, hétéroclite, dispersé et morcelé […] qui autorise le règne du bricolage, de l’anomie […], le règne de la tour de Babel pratique et théorique ». Il faut entendre ici « bricolage » au sens de l’éclectisme des ressources théoriques de la discipline et de sa dimension pratique22. Ce constat est validé par les études empiriques sur le travail quotidien des managers caractérisé par la variété, la brièveté, la discontinuité, l’orientation vers l’action, la répétition des tâches de représentation (Mintzberg 1990). Trop rares sont les chercheurs qui analysent la pratique des consultants en faisant référence à l’activité managériale plus classique, la plupart préférant mettre en exergue une frontière constituante entre la position d’interne et d’externe ou entre un savoir ordinaire et un savoir supérieurement codifié. Nous considérons au contraire que, par bien des aspects, le consultant est une sorte de « super manager » doté certes d’une capacité de formalisation très développée mais ne constituant pas une différence de nature avec les clients. La pratique du conseil épouse et décuple les ambiguïtés que l’on trouve dans la pratique managériale plus traditionnelle. Et ces ambiguïtés sont dues, pour une grande part, à un contenu disciplinaire fragmenté et peu codifié. Ainsi, l’avocat ou le médecin ont à disposition un code, des taxinomies partagées, une jurisprudence, des spécialités balisées, de nombreux actes codifiés. Il est relativement aisé de leur attribuer un domaine réservé de savoir spécifique, qui témoigne d’une certaine unité. La chose est nettement plus ardue lorsqu’il s’agit du conseil en management. Dans un travail précédent (Bourgoin 2009), nous avons brièvement discuté les spécificités de la « discipline managériale » et évalué en quoi elle pouvait être considérée comme une science, au sens où nous l’entendons traditionnellement. Nous ne reviendrons sur le sujet ici que pour formuler quelques remarques générales. D’abord (1), le management est une praxis, une science23 praxéologique, qui s’approprie le savoir des sciences nomothétiques pour en tirer des techniques d’intervention. Son objectif déclaré est la transformation du monde par l’action collective, organisée et réflexive. C’est pour cette raison que d’aucuns la voient comme une forme « d’ingénierie du social » (Crozier 1963, Déry 1995) ou que Simon (1969) en fait une « science de l’artificiel ». Ensuite, (2) le management est une réponse elle-même problématique aux problèmes de l’action organisée. Il est morcelé, théorique et pratique, insaisissable (Déry 1997). Il est une forme d’enquête pratique sur les moyens et les effets de l’action organisée. Enfin (3), sur un plan plus disciplinaire, il peut être considéré comme la science des sciences de gestion, la fonction intégrative des autres fonctions de l’entreprise. En ce sens, il est assimilé à la gestion en général, et peut donc prendre les formes les plus diverses : de la comptabilité (on parle de comptabilité managériale) aux ressources humaines, en passant par la stratégie, l’organisation, la conduite du changement, etc.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *