Une classification phylogénétique des eucaryotes ?

UNE CLASSIFICATION PHYLOGENETIQUE DES EUCARYOTES ?

RAPPELS UTILES

1. – On appelle taxon (plur. taxa ou, mieux, taxons) tout groupe d’organismes reconnu et nommé par les taxonomistes, sans niveau précis (ce peut être une variété, une espèce, un ordre, ou même un règne).

2. – Les plastes (organites effectuant la photosynthèse) sont en fait d’anciens organismes photosynthétiques libres, vivant continûment en symbiose dans la cellule autotrophe. Ils dérivent de l’internalisation de cyanobactéries (plastes entourés de 2 membranes – endosymbiose primaire) ou d’eucaryotes eux-mêmes déjà photosynthétiques (plastes « ré-utilisés » entourés de 3 ou 4 membranes – endosymbioses secondaire et tertiaire) .

3. – Supposons 5 taxons A, B, C, D et E, reliés entre eux par des relations de parenté (supposées vraies) représentées sur la figure 1a : 1, 2, 3 et 4 sont des ancêtres éteints. On peut regrouper de différentes façons ces 5 taxons.
∞ Certains regroupements sont constitués d’organismes ayant un ancêtre commun (ici, l’ancêtre 2) et contenant tous les descendants de cet ancêtre commun. Ce sont des groupes monophylétiques. On les définit sur le partage de caractères communs et acquis par cet ancêtre, les synapomorphies. Sur la figure 1b, les groupes x (descendants de 2), A+B (descendants de 1) et D+E (descendants de 3), sont monophylétiques.
∞ D’autres regroupements comprennent des organismes ayant un ancêtre commun mais excluent au moins un sous-groupe monophylétique descendant de cet ancêtre. Ce sont des groupes paraphylétiques, comme le groupe y sur la figure 1b (il comporte des descendants de l’ancêtre 4, mais pas les descendants de 1, c’est-à-dire A et B). A+B+C+D est aussi paraphylétique.
∞ Un troisième type n’est ni mono-, ni para-phylétique, et regroupe plusieurs groupes monophylétiques et/ou des espèces indépendantes. Dans ce cas, à l’inverse des regroupements paraphylétiques, le dernier ancêtre commun à tous les membres n’est pas dans le groupe. Ce sont des groupes polyphylétiques, sans ancêtre commun exclusif. Sur la figure 1b, le groupe z est polyphylétique (C descend de 2 et D descend de 3 ; certes, tous deux descendent de 4, mais de nombreuses autres lignées également : A, B et E). A+D+E est par exemple aussi polyphylétique. Les groupes polyphylétiques sont souvent fondés sur des caractères communs, mais ceux-ci sont apparus à plusieurs reprises dans l’évolution, dans des lignées indépendantes : ce sont des homoplasies (= convergence et réversion, voir lexique).
Les regroupements polyphylétiques sont fréquents dans les classifications traditionnelles, car la convergence évolutive est fréquente. Ainsi, l’état filamenteux hétérotrophe rapproche les Oomycètes des Champignons vrais (Eumycètes) : mais c’est une convergence car il n’existe pas d’ancêtre commun proche (il y en a bien sûr un, mais très lointain, et dont descendent de nombreuses autres lignées également). Les Amibes et les Flagellés sont aussi des groupes polyphylétiques. Nous exclurons ces groupes de ce polycopié. Les regroupements paraphylétiques sont aussi fréquents dans les classifications traditionnelles, car les membres d’un tel groupe ont pu conserver des traits de leur ancêtre commun. Ces traits ancestraux (aussi appelés plésiomorphies) excluent certains descendants qui ont modifié ou perdu ceux-ci. Exemple 1 : les poissons possèdent tous des nageoires, ce qui en exclut les tétrapodes ; mais, sans les tétrapodes, c’est un groupe paraphylétique. Exemple 2 : les Algues Vertes (phototrophes aquatiques à chlorophylle a et b) sont paraphylétiques : définies comme aquatiques, elles excluent les végétaux verts terrestres qui pourtant sont un groupe-frère des Algues Vertes. (Dans cet exemple, reprenez la figure 1b avec A= Bryophyte, B= Trachéophytes, C= Charophytes, D et E étant d’autres groupes d’algues parmi les Chlorophytes s.s.). Certains groupes paraphylétiques restent néanmoins pratiques en langage courant : d’où leur utilisation (mesurée, et en caractères italiques soulignés) dans ce polycopié.

TAXON 1 – LES EXCAVES (ANCIENS ARCHEOZOAIRES, POUR PARTIE)

Les Excavés regroupent des organismes unicellulaires souvent flagellés, parasites ou symbiontes du tube digestif d’animaux, dont beaucoup ont un sillon nutritif ventral profond. L’existence de 4 flagelles (trois antérieurs, un postérieur) est peut-être une synapomorphie de ce groupe, secondairement perdue par certains membres. Les Excavés se trouvent en position basale de l’arbre des Eucaryotes dans les phylogénies basées sur l’ADN ribosomique : on a donc souvent proposé que ces organismes descendent directement des eucaryotes primitifs, mais on ignore s’il ne s’agit pas d’un artéfact de longues branches (voir p. 4). Ils sont souvent dépourvus de mitochondries, ce qui a conduit, à la fin des années 1980, à les regrouper avec d’autres organismes sans mitochondries vraies, comme les Microsporidies, dans le groupe des Archéozoaires – un groupe sensé être un lien entre Eucaryotes et Procaryotes. (Les Microsporidies sont en fait placées auprès des Champignons vrais (taxon 8) sur la base de critères moléculaires et cellulaires : paroi chitineuse, modalités de la mitose ; elles possèdent des mitochondries régressées.) Or, la plupart des Excavés ont possédé des mitochondries, comme en témoignent l’existence d’hydrogénosomes(1), de gènes d’origine mitochondriale dans leurs noyaux transférés acquis avant la perte des mitochondries, et parfois d’un saccule dérivé de la mitochondrie. Leur vie anaérobie a pu conduire à la perte secondaire des mitochondries (au moins en tant qu’organite énergétique).Ce groupe, représenté par peu d’espèces dans les phylogénies, pourrait éclater prochainement. Selon d’autres études, il serait un groupe-frère des Discicristés. La liste qui suit n’est pas limitative (les Oxymonadines(2) sont peut-être inclus dans ce taxon, les Hétérolobosés ont ici été réunis aux Discicristés, taxon 2) :
◊ Avec hydrogénosomes(1) : PARABASALIENS (= PARABASALIA ou AXOSTYLATA)
◊◊ sans Golgi, 0-6 flagelles : TRICHOMONADINES (Trichomonas)
◊◊ avec Golgi, nombreux flagelles : HYPERMASTIGOTES (symbiontes du TD des Termites : Joenia)
◊ Ni hydrogénosome(1), ni mitochondrie : METAMONADINES(2) (= RETORTAMONADINES s.l.)
◊◊ : RETORTAMONADINES s.s. (Retortomonas)
◊◊ : DIPLOMONADINES (Giardia)
◊ Des mitochondries vraies : JAKOBIDES (Jakoba, Reclinomonas)(3)
(1) Les hydrogénosomes sont des organites limités par deux membranes, réalisant des décarboxylations oxydatives anaérobies et produisant de l’ATP, de l’acétate et du H2 à partir de pyruvate. Ils sont en fait dérivés de mitochondries. Les groupes dotés d’hydrogénosomes auraient donc dérivé d’ancêtres pourvus de mitochondries.
(2) Les OXYMONADINES (= Pyrsonymphidés, comme Oxymonas), aussi privés d’hydrogénosomes et de mitochondries, sont parfois réunis aux Métamonadines, avec lesquels ils partagent un appareil cinétique fait de 2×2 flagelles (groupe des Tétramastigotes), mais cela pourrait être une convergence : les Tétramastigotes seraient alors polyphylétiques. Proches d’un unicellulaire doté de mitochondries, Trimastrix, les Oxymonadines auraient perdu leurs mitochondries secondairement.
(3) La monophylie et la position des Jakobides sont discutées – ils appartiennent peut-être aux Discicristés.

TAXON 2 – LES DISCICRISTES (EUGLENES, TRYPANOSOMES ET GROUPES AMIBOIDES ALLIES)

Les Discicristés sont un groupe d’unicellulaires qui partagent des mitochondries à crêtes discoïdes (= en forme de raquettes de ping-pong, d’où leur nom) et un épiplasme, c’est-à-dire un cytosquelette formant une couche cytosolique sous-membranaire rigide. Ce pourrait être un groupe-frère des Excavés. Noter que les Jakobides (Excavés, taxon 1) appartiennent peut-être aux Discicristés.
◊ Organismes flagellés, à chromosomes toujours
condensés, une base azotée particulière (J(1)) : EUGLENOZOAIRES (=KINETOPLASTIDES)(1)
◊◊ Autotrophes facultatifs ou phagotrophes(2) : EUGLENOPHYTES (Euglena, Phacus)
◊◊ Parasites ou saprotrophes libres : TRYPANOSOMIDES(2) (Trypanosoma)
◊ Organismes amiboïdes à pseudopodes en lobes : HETEROLOBOSES s.l. (= PERCOLOZOAIRES s.l.)(3)
◊◊ Formation de pseudoplasmodes(3) : ACRASIOMYCETES s.s. (= ACRASIDES) (Acrasis)(4)
◊◊ Amibes sans plasmodes(3) à stade flagellé : HETEROLOBOSES s.s. (= SCHIZOPYRENIDA, HETE-ROLOBOSEA ou PERCOLOZOAIRES s.s.) (Naegleria)
(1) Les Euglénozoaires possèdent une base azotée mineure particulière dans leur ADN, le ß-D-glycosyl-hdroxyméthyl-uracile.
Ce groupe comprennent aussi quelques unicellulaires évoquant des Ciliés (qui appartiennent quant à eux aux Alvéolobiontes, taxon 3), les Pseudociliés comme Stephanopogon. Par ailleurs, des analyses de la diversité du plancton par des moyens d’écologie moléculaire (voir ce mot dans le glossaire à la fin de ce polycopié) dans les eaux marines indiquent que de nombreux picoeucaryotes (= de taille micrométrique) encore inconnus appartiennent à des groupes proches des Euglénozoaires.
(2) Plaste à 3 membranes et chlorophylles a et b, issu d’une algue verte endosymbiotique régressée, parfois secondairement perdue (il a été acquis avant la divergence des Trypanosomides, qui l’ont secondairement perdu).
(3) Un plasmode vrai est un ensemble de noyaux réunis dans un seul cytoplasme amiboïde : c’est un syncytium ou coenocyte. Dans un pseudoplasmode, les noyaux sont encore séparés entre eux par des membranes plasmiques : ce sont des cellules agrégées entre elles.
(4) Autrefois les Acrasiomycètes s.s. étaient regroupés avec les Protostélides et les Dictyostélides (dans un groupe nommé… Acrasiomycètes, au s.l.). Dans cette vision-là existait un groupe polyphylétique de Myxomycètes, au sens très large de : Acrasiomycètes s.l. + Myxogastrides + Plasmodiophorales. Noter aussi que la position des Hétérolobosés au sein de ce taxon n’est pas encore fermement assurée.

TAXON 3 – ALVEOLOBIONTES (ou ALVEOLOBIONTES, ALVEOLES, ALVEOLATA)

Groupe dont l’unité est apparue sur des caractères moléculaires. Certains de ces organismes présentent des saccules sous la membrane plasmique, d’où leur nom d’Alvéolobiontes, et tous ont des mitochondries à crêtes tubulaires. Ce groupe serait un groupe-frère des Hétérocontes (qui ont des crêtes mitochondriales semblables), l’ensemble formant le groupe des Chromalvéolés. Les plastes des Dinophytes(1), des sporozoaires(2) comme l’agent du Paludisme, Plasmodium, et les chlorelles de certains Ciliés montrent que des symbioses fixatrices de carbone ont souvent été acquises dans ce groupe (il est possible mais non démontré que les plastes des deux premiers groupes dérivent de la même endosymbiose). Par ailleurs, des travaux d’écologie moléculaire (voir ce mot dans le glossaire à la fin de ce polycopié) dans les eaux marines indiquent que de nombreux picoeucaryotes (= de taille micrométrique) appartiennent à ce groupe, soit dans des clades connus, soit dans des clades inconnus à ce jour (G1 et G2, figure 3).
◊ De nombreux flagelles courts (cils)
un macro- et un micro-nucleus : CILIES (= CILIOPHORA, CILIOBIONTES)
(Paramecium, Vorticella, Tetrahymena)
◊ Deux flagelles dans des sillons, autotrophes(1) ou non : DINOPHYTES(1) (= DINOZOAIRES s.s.,
DINOFLAGELLÉS) (Dinophysis et zooxanthelles)
◊ Ni flagellés ni ciliés, parasites :
◊◊ appareil apical s’attachant à l’hôte : SPOROZOAIRES(2) (= APICOMPLEXES)
(Babesia, Plasmodium, Toxoplasma)◊◊ : PERKINSOZOAIRES (Perkinsus)…

(1) Parfois secondairement non flagellés. Le terme « Dinoflagellés » est rejeté par ceux qui soulignent l’existence d’espèces immobiles. Plaste typique à 3 membranes, issu d’une algue rouge, mais perdu et réacquis de nombreuses fois – notamment une à partir d’haptophytes (Cf. taxon 4). Chez certaines espèces, des algues eucaryotes ou des cyanobactéries endosymbiotiques remplacent le plaste vrai. Près de 50% des espèces sont hétérotrophes (primitivement ou secondairement ?), ce qui amène certains à rejeter le terme « Dinophytes » suggérant trop l’autotrophie.Les Dinoflagellés contiennent les chlorophylles a et c, ce qui avait conduit à un regroupement, les Chromista ou Chromophytes, avec les Ochrophytes (algues du taxon 2), les Cryptophytes, les Haptophytes voire certains Choanoflagellés (taxon 4) : regroupement nettement polyphylétique.(2) Présence, par exemple chez Plasmodium, d’un organite dérivé d’un plaste : issu d’une algue verte, ou peut-être rouge, il n’effectue plus la photosynthèse, mais est impliqué dans d’autres synthèses pour la cellule (application : on teste actuellement certains herbicides comme traitements contre la malaria !).

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